Date de publication
mardi 01 août, 2006
Ressource
Pierrette TrudelAgresseurs et victimes : deux perdants
Que ce soit une école de petits, une école de grands ou d’adultes, une école est un lieu sacré. Sa mission première consiste à scolariser et à socialiser ceux qu’elle abrite. Elle s’adresse avant tout à l’humain en tant qu’humain, peu importe sa race, sa langue, sa religion, sa classe sociale. L’école a pour mandat de développer chez l’élève un esprit critique, un sens des responsabilités et un sentiment d’appartenance à une communauté non seulement familiale mais aussi planétaire. Ce qui se passe en Irak, en Afrique ou en Chine nous concerne. Nous ne pouvons plus tenir dans l’ignorance nulle peine humanitaire. Vivre en sécurité, sans oppression, est un droit inaliénable pour chacun des élèves, quelle que soit l’école qu’il fréquente. Aucun élève ne doit ressentir de la peur, qu’elle soit suscitée par les pairs ou l’institution même.
Je suis enseignante au primaire dans une école montréalaise de milieu défavorisé, donc toutes les ethnies se sont donné rendez-vous dans ma classe. Chacun de mes élèves y apporte avec lui non seulement ses valeurs familiales et la richesse de sa culture mais aussi son histoire de vie et ses blessures. Chacun possède son propre code d’éthique, sa façon de résoudre ses problèmes. Chaque matin, élèves, professeurs, direction, intervenants professionnels (psychologue, psychoéducateur, orthopédagogue, etc.) se présentent à l’école avec sa personnalité propre et ses problématiques.
Tout être humain possède en lui la capacité d’agir agressivement, cela fait partie de son bagage génétique. Tout être humain possède aussi la capacité d’établir des liens sociaux. C’est à travers ces mécanismes que l’homme évolue. Nous parlons de gestes violents lorsque l’agressivité devient une façon d’entrer en relation avec les autres et que ces gestes compromettent l’intégrité physique, morale et psychologique de ces derniers. Quand un individu pose des gestes condamnables, ce n’est pas seulement l’intégrité des autres qui est en jeu, mais aussi l’intégrité de cet individu que l’on qualifie alors de « violent ». Dans un rapport de force entre individus, il ne peut y avoir de gagnants, il n’y a que des perdants.
Les gestes violents n’ont pas tous le même impact
La violence à l’école emprunte plusieurs formes et s’exprime dans différents contextes. Les problèmes que posent l’intimidation, le taxage et la violence physique ne sont pas du même ordre que ceux qui sont provoqués par des insultes lors d’une bousculade ou des taquineries non avenues entre amis. Si le principe « tolérance zéro » s’applique dans le premier cas, le second demande plutôt des interventions visant à soutenir les enfants dans la recherche de solutions pacifiques.
Le dénigrement, le mépris, le rejet et les moqueries passent trop souvent inaperçus aux yeux des adultes. Les enfants qui en sont victimes ont tendance à se faire oublier. Ils ont l’impression qu’ils ont peu ou pas de moyens de riposter, ce qui est effectivement trop souvent le cas.
La violence verbale est la forme de violence la plus répandue. Les mauvais mots, les menaces, les railleries font très largement partie des plaintes les plus fréquentes à l’école. Si j’essaie de toujours intervenir dans des situations vraiment blessantes, il m’arrive de juger que certains conflits ne sont qu’un simple incident de parcours et de ne pas y attacher une trop grande importance. Il est cependant clair que toute récidive relève d’une problématique qui ne peut être ignorée.
Agresseurs ou victimes
Il y quelques années, j’ai demandé à Mathieu, un élève qui présentait des problèmes de comportement (réactions agressives à une frustration : coups, insultes, mauvais mots, etc.) pourquoi il agissait ainsi. « Parce que j’ai peur », m’a-t-il répondu. Les élèves qui adoptent des comportements violents se disent être victimes de violence. Ce sont toujours, à quelques exceptions près, les mêmes enfants qui sont impliqués dans des situations conflictuelles tantôt comme victimes, tantôt comme agresseurs. Il semblerait que certains enfants soient constamment confrontés à des situations de violence alors que d’autres ne le sont pas.
Les enfants « violents » qui sont assis dans ma classe sont des enfants en détresse qui luttent pour leur intégrité et qui, en tapant sur les autres, appellent à l’aide. Il me faut alors tenter de les rejoindre là où se terrent leur peur et leur sentiment de détresse. Je ne connais pas d’enfant méchant, je ne connais que des enfants qui, pour survivre, taisent leurs émotions et ignorent les émotions de ceux qui les entourent.
Une victime
Un agresseur cherche rarement une victime au hasard, il cherche quelqu’un qu’il sent sans défense. Les enfants « victimes » qui sont assis dans ma classe ont peur et cette peur les paralyse. Ils se murent dans le silence, car ils craignent de subir des représailles, ils appréhendent d’aggraver la situation. Les victimes éprouvent une grande souffrance, car elles ont en général peu confiance en elles-mêmes et dans les adultes qui les entourent. Un enfant qui est harcelé doit être appuyé pour pouvoir envoyer un message clair à son agresseur, message qui signifie que tout harcèlement doit cesser immédiatement. Pour que les victimes soient appuyées, il est impératif qu’elles soient prises au sérieux. Trop souvent, les victimes sont laissées à elles-mêmes. Pour prévenir la violence à l’école, il faut travailler non seulement à sensibiliser les agresseurs, mais aussi à outiller les victimes pour qu’elles puissent se défendre efficacement.
Si les victimes doivent confronter stress, insécurité et solitude, ces sentiments sont largement partagés par les agresseurs. Ces derniers sont en très large majorité rejetés par leurs pairs. Victimes et agresseurs vivent une perte de l’estime de soi, de l’anxiété et parfois même de la dépression.
Selon les attitudes et les façons de réagir des enseignants, au-delà des causes d’ordre individuel, familial, socioéconomique ou socioculturel, l’école joue un rôle important dans la diminution ou l’augmentation des comportements de violence entre ses murs. Les stratégies de résolution des conflits et l’encadrement mis en place par l’école contribuent à prévenir ou à accroître les gestes agressifs. Toute école se doit de développer une réflexion en profondeur sur la violence. Elle doit certes réagir dans l’immédiat et sévir, mais elle doit surtout outiller les élèves, les amener à se doter de moyens de contrôle et les aider à développer une estime de soi qui leur permette de tenir un rôle autre que d’être celui « dont personne ne veut ».
Les jeunes que nous qualifions de « violents » ne sont pas tombés du ciel. Ils sont nés et éduqués ici. Il revient donc aux adultes qui les côtoient de se responsabiliser et de se questionner sur les causes de la colère qui les habite.
Suite dans le prochain numéro : les agresseurs
Pierrette Trudel est enseignante à l’école Laurentide de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys.