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Steve ProulxEtre une bonne mère ou un bon père, c’est ce que veulent tous les parents. Mais peut-on trop en vouloir pour son enfant? Trop l’encadrer ou trop s’en préoccuper? Malheureusement, oui.
Mathématiques au parc
« Mon épouse et moi sommes parents d’une adorable petite fille. Lorsqu’elle était âgée d’environ deux ans, je suis allé au parc avec elle et je l’ai installée dans les balançoires. Près d’elle, il y avait une autre fillette qui n’avait pas encore deux ans, mais qui comptait parfaitement jusqu’à 20 pendant qu’elle se balançait. Ma fille, elle, comptait ainsi : “3, 4, 9, 6, 3...”. Sur le coup, je me suis inquiété à savoir si je devrais lui enseigner à compter. Peut-être que, sinon, demeurerait-elle toujours derrière ses pairs ? Et peut-être que cela affectera son cheminement préscolaire ? Primaire ? Secondaire ? J’ai vite réalisé que c’était là du pur délire. Il n’y a aucune relation entre le fait de compter à l’âge de deux ans et les performances d’un enfant plus tard dans sa vie. Ma fille apprendra à compter lorsqu’elle sera prête. Et je n’ai qu’à attendre le moment où je sentirai qu’elle est intéressée à apprendre. »
Cette histoire a été vécue par Richard Koestner, professeur au département de psychologie à l’université McGill. Il a étudié le sujet de la motivation chez les enfants et s’est intéressé plus particulièrement à un phénomène que les Américains appellent « hyperparenting », ou plutôt, l’hyper-éducation des enfants. M. Koestner définit la chose comme étant une : « une forme surimpliquée ou surengagée de parentalité ». Le fait de trop s’occuper d’un enfant, en somme.
Trop en faire
Faire écouter du Mozart à son enfant sous prétexte que la musique classique augmente le QI ; vouloir lui apprendre à lire aussitôt qu’il est en âge de parler ; régler son horaire à la minute près, de façon à ce qu’il ait toujours une activité enrichissante à faire ; le pousser sans cesse à s’accomplir afin de l’amener à développer divers talents ou facultés... Voilà quelques exemples concrets de ce qui pourrait devenir de l’hyper-éducation. Bien sûr, il n’y a rien de mal à vouloir stimuler son enfant ! Mais tout est dans le dosage. Or, on en fait parfois trop. Depuis que les familles sont moins nombreuses, les parents n’ont souvent qu’un ou deux enfants sur lesquels jeter leur dévolu. L’enfant-roi devient donc le centre de l’attention. Et tous les efforts sont investis pour en faire un véritable petit singe savant. On le veut talentueux, intelligent, en santé. Parfait, quoi !
Si l’intention des parents est bonne, la surimplication de ceux-ci peut parfois causer plus de tort que de bien. Le stress que subit un enfant soumis à la poursuite incessante de la performance en est un exemple. Des études ont par ailleurs démontré que des adolescents qui évoluaient dans des familles où les pressions de la « perfection » sont importantes atteignaient des niveaux plus élevés d’anxiété et de dépression. Mais l’enfant n’est pas la seule victime de cette hyper-éducation, les parents aussi ! « Personnellement, je m’inquiète du fait que l’hyper-éducation déséquilibre la vie des parents, explique M. Koestner. Certains peuvent se retrouver à négliger leur vie de couple, leurs amis ou leur propre développement personnel parce qu’ils sont trop occupés à faire tout en leur possible pour maximiser le développement de leur enfant. Il est évidemment important que les parents s’engagent dans la vie de leurs enfants et qu’ils les aident à poursuivre leurs objectifs, mais il est aussi très important pour un enfant de voir ses parents mener une vie de couple en santé, entretenir un bon réseau d’amis, etc. »
Par un processus d’auto-amélioration, l’enfant devient progressivement un adulte intelligent et équilibré capable de vivre en société. C’est un processus naturel, inutile de forcer les choses ! Richard Koestner propose donc aux parents de ralentir la cadence : « Je pense qu’il est déjà suffisamment difficile pour la plupart des parents de maintenir une vie équilibrée après la naissance d’un enfant sans avoir à ajouter à leur horaire quotidien toutes sortes d’activités de stimulation discutables. »
Les visages de la surimplication
Isabelle Gingras, une chercheuse postdoctorale qui collabore avec M. Koestner pour élaborer un nouveau programme de recherche sur la question, a identifié trois éléments qui entrent en ligne de compte lorsqu’on parle d’hyper-éducation : la surimplication (évidemment), mais aussi la surstimulation et la surprotection.
Trop s’investir
« Lorsque les parents font de la microgestion et veillent à régler les moindres détails de la vie de l’enfant, explique M. Koestner, il y a surimplication. » Par exemple, pousser l’enfant à se lier d’amitié avec un autre enfant (choisi par le parent) est un domaine de la vie infantile qui n’a pas besoin de l’implication du parent. Des parents surimpliqués sont souvent obsédés par leur enfant et s’oublient par le fait même.
Trop stimuler
Après l’école, c’est le cours de natation, la leçon de piano, le cours de ballet, la pratique avec la chorale, le patinage artistique ou la gymnastique. La fin de semaine venue, c’est la course pour arriver à l’heure au tournoi de hockey, c’est la campagne de financement pour l’équipe de soccer ou la préparation du camp d’hiver des louveteaux. Pas le temps de s’ennuyer ! « Par crainte que leurs enfants accusent un retard par rapport aux autres, explique Richard Koestner, les parents tentent de trop enrichir l’enfant et stimuler son intellect. L’enfant est surchargé d’activités sportives ou autre, il vit une pression constante. »
Trop protéger
La surprotection, c’est le syndrome de la mère poule. Par peur d’être considérés comme de mauvais parents, certains préviennent les échecs que pourraient subir leurs enfants et facilitent leur vie à un point tel qu’ils risquent d’avoir de la difficulté à développer leur capacité à surmonter les obstacles de l’âge adulte.
Que faire ?
Pourquoi ne pas prendre la vie à la légère ? « Je me remémore souvent à quel point mes propres parents étaient décontractés et combien mon frère, ma soeur et moi avons finis par devenir des gens heureux et productifs, raconte Richard Koestner. Aujourd’hui, j’essaie donc d’être plus décontracté dans mon rôle de parent. Je veux toujours participer à la vie de ma fille, mais je ne veux pas sentir que j’aie à gérer et à diriger tout ce qu’elle fait. Je la veux libre de développer ses propres intérêts et ses propres façons de faire les choses. »
On le dit souvent : les parents sont avant tout des modèles pour leurs enfants. Loin d’être des coachs, des patrons ou des dictateurs, ils sont avant tout des sources d’inspiration. Voir vivre ses parents est une véritable émission de télé-réalité pour l’enfant ! C’est grâce à ce modèle qu’il forge sa propre personnalité. À travers les gestes, les valeurs et le mode de vie de ses parents, l’enfant s’inspire. « Il est sain pour un enfant de voir ses parents connaître une heureuse vie de couple ou caresser des projets personnels signifiants, ajoute M. Koestner. Et je pense que, pour un parent, mener une vie saine est plus facile à réaliser si toutes ses énergies ne sont pas constamment utilisées à la promotion du développement de l’enfant. » En somme, mener une vie équilibrée et heureuse en tant que parent est peut-être le meilleur héritage à léguer à son enfant. Et c’est bien moins cher qu’une leçon de piano !