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Marguerite DorayLa culture a été certainement définie, nommée, redéfinie et renommée cent et mille fois mais l‘effort de la nommer et de la définir encore demeure légitime car c‘est une tribune pour parler de l‘homme et de son humanisation progressive ou régressive.
La culture, c‘est la transformation de l‘homme par l‘art. Tant que j‘étais professeur d‘art, cette définition demeurait des plus satisfaisantes. Maintenant que je suis devenue commerçante de jouets et que, dans mon magasin, j‘observe les enfants qui jouent avec le plus grand sérieux avec des jouets simples, je réalise que la culture, c‘est aussi l’affaire de l’enfance et que là aussi il y a polarité entre culture et divertissement comme dans notre société adulte; là aussi le second tend à empiéter sur le premier pour ne pas dire à envahir complètement son espace.
C’est en juxtaposant notre débat culturel d’adulte et mon observation des enfants en relation avec le jouet, que cette idée de la même polarité entre culture de l’enfance cette fois et divertissement de l’enfance m’est apparue.
La culture s’adresse à l’universel en l’homme. La culture me fait grandir, le divertissement me repose. La culture a besoin de raffinement, de nuances, de finesse pour traverser le seuil de là où le noyau spirituel de mon être s’anime, cherche à se connaître, à prendre forme, à se manifester; mais cette activité demande aussi un effort de ma part. Le divertissement nous maintient à l‘extérieur, sa forme n’a pas besoin de tant de subtilité pour avoir l’effet souhaité, c’est à dire le repos, la détente, la pause.
Le petit enfant avec son jouet passe continuellement ce seuil. Toutes ses images intérieures se transposent sur le jouet. Celui-ci s’anime, il prend la forme que lui donne la pensée imaginative de l’enfant et ainsi le noyau de son être se manifeste. Il a grandi, il s’est humanisé.
Observons un enfant jouer avec son train en bois sur roulettes et un petit pont de construction artisanale. Il fera le tour de tout ce qu’il peut contourner, escaladera tout ce qu’il peut escalader, pénètrera dans tous les tunnels possibles mais reviendra régulièrement se délecter à passer sur le petit pont. Au nombre de fois qu’il passera et repassera, on peut deviner qu’il y a là une image qui l’intéresse au plus haut point. Et cette image intéresse tous les enfants de tous les pays, de toutes les classes sociales. Elle s’adresse à l’universel en l’homme comme la culture. C’est dans l’image que la vie intérieure se déploie, que les sentiments et les expériences de l’âme trouvent leurs miroirs dans le monde. L’effort dont nous parlions plus haut, c’est chez l’enfant, toute l’activité physique et imaginative qu’il a déployée pour y arriver et le plaisir qu’il en a éprouvé se métamorphosera en ouverture à la culture à l’âge adulte.
Maintenant, de plus en plus, sur le marché, le jouet est issu des émissions de télévision ou simplement moussé par la publicité toute puissante et il entre dans l’univers de l’enfance déjà tout investi d’histoires venant de l’extérieur et il n’y a presque plus de place pour que l‘enfant puisse insuffler sa propre vie intérieure dans et autour de son jouet. Mais ce qui m’inquiète tout autant ce sont les jeux qui maintiennent l’enfant immobile physiquement : les jeux vidéo ou téléguidés, la télévision et les robots de toute sorte. S’il n’y a plus d’activités ni physiques ni imaginatives, il n’y aura peut-être pas de métamorphose possible en ouverture pour la culture. On ne pourra pas les blâmer...ils n’en auront tout simplement pas la force.
Dans ce sens, le jouet, l’activité physique et imaginative qu’il engendre, c’est la culture de l’enfant.
Marguerite Doray a dédié une grande partie de sa vie à l’enseignement; du jardin d’enfants jusqu’au secondaire II à l’école Rudolf Steiner de Montréal. Elle est maintenant propriétaire de la boutique-atelier La Grande Ourse, jouets pour la vie. Vous pouvez la joindre au (514) 847-1207