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Steve Proulx« Et toi, Sébastien, qu'as-tu fait de ton été? » Au début de l'automne dernier, ce louveteau de 9 ans à qui j'avais posé cette question cherchait au bout de ses souliers une réponse à donner. Avant lui, d'autres jeunes avaient rapporté, les yeux brillants, des anecdotes de camping, de colonies de vacances, de voyages en Gaspésie....
«Euh, finit par mâchouiller Sébastien, cet été, l'auto a brisé et ça nous a coûté 2000 $ en réparations. »
Des soucis à cause d'une voiture qui flanche. Voilà le souvenir d'été de Sébastien, 9 ans. C'est fou comme on s'amuse.
À un âge où les enfants s'émerveillent tout de go devant l'incroyable géométrie d'un flocon de neige, Sébastien, lui, ne semblait s'enflammer pour rien. À un âge où les enfants rient, plaisantent et inventent mille et un tours, Sébastien, lui, s'égayait rarement et s'ennuyait facilement.
Au moment de ma rencontre avec cet enfant qui ne riait jamais, j'étais à feuilleter les premiers chapitres d'un livre paru récemment aux Éditions de l'Homme: L'enfance du bonheur. L'auteur, le médecin psychiatre Edward Hallowell, y explique comment cultiver chez l'enfant les racines qui assurent le bonheur à l'âge adulte. Selon lui, une des choses qui créent la magie de l'enfance est la connexité, ou plutôt la sécurité émotionnelle. Parce qu'au-delà d'un toit, de trois repas par jour et d'une bonne paire de souliers, l'enfant, pour s'épanouir, a besoin de se sentir aimé et en sécurité. Une façon d'y arriver, pour les parents, serait de jouer avec l'enfant et d'y prendre plaisir. Lui démontrer, en somme, que les moments passés avec lui sont précieux.
Les mots inspirants du Dr Hallowell résonnaient encore dans ma tête lorsqu'est arrivée cette sortie de scouts en forêt. Pendant tout un après-midi, moi et ma meute (Sébastien y compris) avons fait rôtir des saucisses sur le feu, joué à la cachette et soulevé des pierres pour observer les laborieux tunnels de nos amis les cloportes. Une journée mémorable.
Sur le chemin du retour, le hasard avait fait en sorte que Sébastien soit dans la même voiture que moi. En discutant tout bonnement de la journée pour remplir le silence, il s'est mis à relever avec précision les moindres aspects négatifs, reléguant aux oubliettes tous les instants heureux. Au bout de moment, comme pour détourner la discussion, je lui ai lancé : « Tu sais, Sébastien, pour moi cette journée a été parfaite. Il n'y manque qu'une chose en fait : un sourire illuminant ton visage. »
Ma réplique était digne du plus têteux des animateurs de pastorale. Et je le savais. Nos regards se sont croisé à travers le rétroviseur et, en guise de réponse, Sébastien s'est mis à esquisser un sourire tout ce qu'il y a de plus forcé. Un rictus dont seuls les plus éminents vendeurs de voitures usagées détiennent la clé. Oui, cet enfant était capable de sourire. Et même si sa gaieté n'avait rien de sincère, j'ai applaudi. Parce derrière chaque faux de sourire se cache un fond de vérité...
Le trajet en voiture s'est poursuivi en silence. Mais chaque fois que je me retournais vers Sébastien, le malin arborait toujours son sourire de pacotille. Peu à peu, comme ce petit jeu l'amusait, son faux sourire s'est transformé en risette tout à fait authentique. Le comportement de l'enfant est une chose qui peut parfois être fascinante : le fait de se moquer de moi en arborant un sourire forcé amusait Sébastien, ce qui provoquait chez lui un ricanement sincère, suivi d'un sourire encore plus caricatural. Bientôt, Sébastien m'annonçait son intention de battre le record du monde du plus long sourire. J'ai immédiatement ajouté que ce record devait bien être de deux ou trois jours au moins... Déterminé, Sébastien a tenu son sourire jusqu'à la fin du trajet.
Sans le réaliser, nous avions inventé un jeu aux règles incongrues. Nous avions, comme le préconise le Dr Hallowell, créé un cadre propice à faire naître la magie chez l'enfant...
Lorsque nous sommes arrivés à destination, dans ce stationnement où les parents attendaient leurs enfants pour les ramener à la maison, Sébastien, le sourire lui fendant toujours le visage, a retrouvé sa mère qui, en le voyant, lui a lancé d'un ton sec : « Qu'est-ce qui te fait rire de même, toé! ». Aujourd'hui, Sébastien ne fracassera pas le record mondial du plus long sourire. Et pour moi, l'origine de son air bête presque inébranlable devenait limpide.
Le bonheur est une chose qui s'apprend. Mieux, qui se cultive. Tout ce que cela demande, c'est du temps, de la présence, de l'écoute et le désir de léguer à son enfant un trésor qui lui fera affronter la vie le sourire aux lèvres...