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Steve ProulxFull fille, Cool et le nouveau Alexine... Ces magazines, populaires auprès des adolescentes, sont-ils aussi roses que la couleur de leur couverture?
« Plus la soirée avancera, plus tu enlèveras des vêtements, jusqu'au moment où il ne te restera que ta robe sexy. » Ce conseil d'une grande sagesse n'a pas été puisé à même une quelconque publication érotique. Elle provient d'un article intitulé « Comment être la reine du party? », publié dans le magazine Adorable en décembre 2002. Si ce magazine cible aujourd'hui la « femme audacieuse » âgée de 18 à 30 ans, il s'adressait plutôt aux adolescentes du Québec au moment de la publication de cet article. Est-il permis d'exiger de plus brillantes lectures pour nos filles?
Le contenu qui comble chaque mois les magazines pour adolescentes à de quoi inquiéter. À tous coups, la même recette éprouvée prévaut : des tests de personnalité sans le moindre fondement scientifique, des potins sur les stars d'Hollywood, des trucs de maquillage, des transformations de look et, surtout, une hémorragie de photos de beaux gars... Dans les magazines de filles, la vie semble se résumer à deux choses : l'apparence et la séduction.
Doctorante en communication à l'Université Concordia, Caroline Caron a analysé plus de 200 articles publiés dans trois importants magazines québécois pour jeunes filles. L'objet de cette étude publiée en 2003 : découvrir quelles valeurs étaient véhiculées à travers ces mensuels. Ses conclusions, même si elles n'étonnent pas, sont préoccupantes. « Près des deux tiers des articles publiés dans la presse féminine pour adolescentes insistent sur l'importance de la beauté, de la mode, des relations avec les garçons, de l'hétérosexualité et des vedettes masculines, écrit-elle. Ensuite, [...] le thème du développement personnel, emblématique durant l'adolescence, passe largement à travers la vie de vedettes féminines issues de la culture populaire. » Une des rares chercheuses à s'être penché sur le contenu des magazines pour jeunes filles, Mme Caron soutient que ceux-ci proposent à leurs lectrices une vision idéalisée du monde, déconnectée de la réalité. Et on paye pour ça?
Pour l'avancement des stéréotypes sexuels...
Chaque mois, le magazine Cool publie son « Vox Pop Gars », une chronique dans laquelle de jeunes garçons sont invités à donner leur opinion sur une question. Dans le numéro de septembre 2005, les jeunes lectrices de Cool apprennent donc que pour Mathieu, 14 ans, Jessica Simpson est la vedette qui ressemble le plus à son « genre de fille ». Pourquoi? « Même si elle n'a pas l'air très intelligente, elle a un beau corps. Donc, ça compense! » Le message a au moins le mérite d'être clair. Sur les cinq gars qui s'exprimaient ce mois-là à propos de leur « genre de fille », quatre citaient l'apparence en premier lieu...
« Inciter les jeunes filles à se définir à travers le regard que les garçons portent sur elles n'est sans doute pas une manière d'encourager des relations égalitaires entre hommes et femmes. », souligne Caroline Caron. Elle remarque d'ailleurs à quel point les garçons jouissent souvent d'un statut particulier dans les pages des magazines pour adolescentes. Ceux-ci, présentés comme s'ils détenaient la vérité, sont régulièrement invités à répondre à des questions portant sur la séduction et la sexualité. « Les magazines permettent [aux garçons] de s'exprimer et même de conseiller les filles sur leurs problèmes personnels et amoureux. », écrit Mme Caron.
Circulaires ou magazines?
L'atteinte de certains critères de beauté est le fil conducteur des magazines pour jeunes filles. Et pour être belle, il faut bien sûr se ruer sur les vêtements dernier cri, porter le bon parfum ou choisir le meilleur brillant à lèvres. Les appels à la consommation peuvent être à peine voilés, comme en témoigne cet extrait tiré d'un « reportage » paru dans le magazine Full fille de septembre 2005 : « La prochaine fois que tu te rends chez La Baie du centre-ville, va faire un tour au comptoir des cosmétiques Benefit de San Francisco ».
Selon les analyses de Caroline Caron, 37,1 % des articles parus dans les magazines qu'elle a étudiés portaient sur l'apparence : des tests de maquillage, des articles sur la mode et les accessoires « cool », etc. « La consommation est présentée comme un moyen d'accéder au bonheur », dit-elle. Ce n'est pas un hasard. « Un détour par le contenu publicitaire, dont plus de la moitié fait la promotion de produits et de services liés à l'amélioration de l'apparence physique permet d'avancer que cette construction de la féminité répond sans doute aux intérêts commerciaux des magazines et de leurs commanditaires », peut-on lire dans l'étude de Mme Caron.
Les grands absents...
En privilégiant l'apparence, le potinage et la surconsommation, les magazines pour jeunes filles déforment la réalité. On le remarque dans la façon dont sont abordés la plupart des sujets, mais surtout dans la façon dont certains sujets NE SONT PAS abordés! « On fait très peu référence aux actualités nationales et mondiales, dit Mme Caron. On parle peu des problèmes sociaux, même ceux qui concernent les femmes ou les jeunes. On parle aussi très peu du rôle de la santé dans la qualité de vie et aussi de la préparation à une future carrière. Quand on traite de la santé (de la nutrition, par exemple), ce n'est pas pour insister sur l'importance d'un régime sain et équilibré, mais pour atteindre un idéal corporel (une méthode pour compter les calories, par exemple). Le sport est pratiquement absent, sauf dans les images de mode où l'on présente des tenues sportives... Enfin, il n'y a pas de message concernant le rôle de l'école et de l'éducation en général dans la préparation de son avenir. »
Pourquoi les filles lisent-elles?
Devant de tels constats, la question se pose : pourquoi les filles lisent-elles ce genre de magazines? Par intérêt ou par absence d'une alternative au contenu de meilleure qualité? Et si les filles lisent ces magazines, sont-elles réellement influencées par leur contenu? À ces questions, Mme Caron n'a pas de réponses. Mais, elle y travaille! « L'objet de mes futures recherches consiste à intégrer les jeunes lectrices dans le processus de recherche afin de mieux comprendre comment elles lisent ces revues, quel plaisir elles y trouvent et quels besoins elles comblent en lisant ces revues, explique-t-elle. Une fois que nous disposerons de ces données, il sera plus facile d'évaluer l'influence qu'exerce cette presse sur son lectorat. »
Or, que ces magazines aient ou non quelque influence sur le comportement des filles, c'est d'abord et avant tout aux parents de faire la part des choses, souligne André Caron, responsable du Groupe de recherche sur les jeunes et les médias au département des communications de l'Université de Montréal. Selon lui, les magazines n'entrent pas dans la même catégorie que la télévision ou Internet. « En ce qui concerne les magazines, il y a un geste d'achat qui doit être posé. Ce n'est pas un produit qui entre automatiquement dans la maison (comme Internet ou la télévision). C'est donc aux parents que revient la responsabilité de ce que lisent leurs enfants. Or, il faut savoir que les enfants imitent souvent les attitudes des parents. Lorsqu'on a un parent qui achète tous les petits potinages du Lundi ou du 7 Jours, il ne faut pas s'étonner de voir les enfants faire la même chose... »
L'étude « Que lisent les jeunes filles? » de Caroline Caron peut être téléchargée au [http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000977.html]