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Ressource
Marie-Hélène ProulxPour le meilleur… et, surtout, pour l’enfant
À Claude, ma directrice adjointe préférée,
qui répond si gentiment à mes questions
et à celles de quelques centaines de parents, chaque semaine.
On aura beau parler des parents, des professeurs débordés, et des transformations trop rapides auxquelles on doit s’adapter, il demeure que, la plupart du temps, ceux qui ont choisi de faire des enfants, ou de leur enseigner, s’appliquent à le faire de leur mieux. Mais comment se fait-il, dans ce cas, que les ponts soient parfois si difficiles à établir entre toutes les personnes qui cherchent le bien-être de l’enfant ?
Une cour d’école pavée de bonnes intentions
Ironiquement, c’est peut-être parce que les parents d’aujourd’hui se révèlent plus soucieux du sort qui attend leurs enfants qu’ils se retrouvent à faire vivre aux professeurs des pressions difficiles à gérer. Les parents sont bien conscients, en effet, qu’il faut plus qu’un diplôme généraliste, acquis tant bien que mal, pour atteindre les objectifs professionnels dont pourraient, plus tard, rêver leurs enfants… et sur lesquels reposent déjà quelques-uns de leurs propres rêves ! Eux, qui n’ont souvent plus qu’un ou deux enfants, sont aussi plus que jamais sensibilisés à leur rôle et aux conséquences possibles d’une maladresse éducative.
Des exigences légitimes, mais élevées
D’après Camil Sanfaçon, qui a été lui-même enseignant, cela expliquerait, en grande partie, que les parents deviennent plus prompts à réagir devant une marque de laisser-aller ou d’autorité qui leur semble excessive : « Avant, ils faisaient totalement confiance à l’école, au point que, s’il s’y passait quelque chose, les parents prenaient presque d’emblée le parti de l’enseignant : ?Tu n’as pas été poli : il faut que tu fasses attention, ne nous fais pas honte !” Aujourd’hui, c’est le contraire : on va aller défendre l’enfant .On appelle ça le parent hélicoptère, qui descend et qui vient régler le problème, qui demande des comptes. Donc, maintenant, c’est beaucoup plus rapide et direct : ? On ne veut pas de problèmes, et vous devez faire votre travail pour les régler s’il y en a.” »
Marie-Claude Béliveau, orthopédagogue et psychoéducatrice, remarque que les parents ne cherchent pas forcément à ce que les enfants deviennent les « superformants » de la classe. Bien sûr, certains d’entre eux se soucient davantage des notes et des signes d’excellence, mais, dans la plupart des cas, il s’agirait plutôt de s’assurer que l’enfant se sente bien dans sa peau, à ce moment de sa vie, ce qui n’exclut pas, toutefois, l’aspect de réussite scolaire : « En général, ce que les parents veulent, c’est que l’enfant soit heureux et qu’il réussisse, parce que l’on sait qu’un enfant n’est pas heureux s’il est toujours en échec ou à la remorque de tout le monde, même s’il travaille comme un fou. »
Se sentir à sa place à l’école peut reposer sur d’autres aspects, comme les relations avec les pairs ou un sentiment de compétence dans les activités parascolaires. Les recherches de Rollande Deslandes, au département de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières, confirment cependant que la relation d’attachement au professeur peut jouer un rôle déterminant dans le sentiment de bien-être que ressentira l’enfant à l’école et son envie de s’y investir : « Dire que les deux vont main dans la main, c’est peut-être fort, mais c’est sûr qu’il y a une corrélation entre les deux. Si l’enfant aime son enseignant, évidemment, il va être porté à aimer l’école, dans la majorité des cas. »
Parlez-nous de nos enfants
Le parent qui cherche à aider son enfant aimerait donc qu’on lui apporte des réponses. Lyne Guérin, conseillère à la Fédération des comités de parents du Québec, nomme d’ailleurs ce besoin de se sentir accueillis et guidés, à tous les niveaux de la structure scolaire, comme l’un des plus fondamentaux pour les parents : « Je crois que l’une des premières attentes des parents est d’avoir une communication facile et agréable avec l’enseignant, qui est le premier acteur du milieu scolaire, pour l’enfant et le parent. Ensuite, il va y avoir aussi des attentes face à la direction de l’école, parce que, parfois, même si le professeur enseigne à notre enfant toute la journée, on sent que l’on ne peut pas avoir accès à lui. Si on a un problème dans l’immédiat, on veut pouvoir aller s’adresser à la secrétaire ou au directeur et se sentir bien reçu par l’équipe-école. »
Ces petits échanges deviennent d’autant plus appréciés qu’en voyant passer leurs enfants à la « grande école » du primaire, les parents constatent vite que ce nouveau milieu est moins propice aux communications quotidiennes qu’avec l’éducatrice de la garderie. Lyne Guérin se souvient bien de cette transition : « Ce n’est plus comme les parents qui se font dire chaque jour à la garderie : ?Votre enfant a fait ceci ou cela”, ?Il s’est chicané avec telle amie”. Une fois que l’enfant arrive à cinq, six, sept ans, qui sait ce qu’il veut bien te raconter ? Et souvent, ça se limite à ?ça a bien été” ».
Une des grandes craintes qui se cacherait derrière ce besoin de contact de la part des parents est celle de ne pas être informés à temps, si leur enfant éprouve des difficultés. Une situation qui survient trop fréquemment, remarque Marie-Claude Béliveau, et qui peut parfois s’expliquer par l’espoir de l’enseignant de voir l’enfant se sortir lui-même d’une épreuve passagère, sans accabler outre mesure l’enfant ou les parents : « Parce que c’est souvent ce que l’on voit : des parents qui se font dire ?Votre enfant ne suit pas, ça ne fonctionne pas du tout.” Mais certains professeurs ont trop attendu, pour ménager l’enfant. Des parents qui apprennent au mois de mai que leur enfant va peut-être redoubler peuvent trouver ça dur ! »
Cela dit, entamer une première rencontre avec un parent par l’énumération de ses insatisfactions envers l’attitude ou le rendement de son enfant ne constitue sûrement pas non plus le meilleur moyen de s’allier les parents. Voilà pourquoi Camil Sanfaçon suggère aux professeurs de chercher à joindre personnellement les parents durant le premier mois de classe, et de trouver au moins un aspect positif à exprimer à propos de l’enfant.
Lyne Guérin abonde aussi dans ce sens, mais souligne que les divers moyens technologiques à la portée des parents donnent accès à plusieurs autres voies de communication, qui favorisent cette approche transparente et positive : « On peut écrire directement des messages textes aux enseignants, un peu comme sur Messenger : ça s’appelle Classe Dojo. Alors oui, je pense que cela a évolué dans le bon sens. Il n’y a plus seulement le contact téléphonique. Il y a plein d’écoles qui l’utilisent maintenant, partout au Québec, parce que c’est tellement facile. En même temps, le professeur, lui, peut nous envoyer des photos de ce qui se passe dans la classe. On peut voir ce que les enfants ont fait comme activité de bricolage aujourd’hui. »
Les courriels, et même les textos, sont d’ailleurs déjà devenus les alliés de plusieurs professeurs, puisqu’ils leur permettent, ainsi qu’aux parents, de se parler au moment qui leur convient, de mieux peser chacun de leurs mots et, surtout, de cibler un message, sans risquer qu’il soit détourné par un petit coquin craignant d’être puni. Est-ce dire que le bonhomme sourire ou triste dans l’agenda et les coups de téléphone d’antan sont tomber aux oubliettes ? Rollande Deslandes ne le croit pas : « Nous avons réalisé une étude récemment où j’ai découvert, à ma grande surprise, qu’il y a encore des parents qui préfèrent recevoir un appel téléphonique. Dans certains milieux, nous avons de la difficulté à établir le lien par courriel. Donc, il faut utiliser plusieurs moyens. On demande aux parents quelle est leur préférence. Il y en a pour qui ce sera encore les mémos et les messages, comme autrefois. »
Moins d’impulsivité : plus de résultats
Ce ne sont toutefois pas les moyens qui manquent pour, qu’au besoin, le parent puisse faire entendre sa voix, d’abord à l’école. L’expérience, autant que les politiques scolaires générales, contribue à ce que les professeurs prennent conscience de leur intérêt à s’allier aux parents, puisque ce sont eux qui ont la plus grande influence sur l’enfant. Inversement, les parents gagnent à garder en tête que l’idée que ces grandes personnes se font du milieu scolaire peut jouer directement sur la motivation des enfants ou même sur leur motivation à s’ouvrir à un autre monde pour s’attacher au professeur.
Mais si, malgré tout, l’école semble faire la sourde oreille, la Fédération des comités de parents peut même offrir un coup de pouce à ceux qui désirent se faire guider à travers le système éducatif. Et pour une situation qui s’aggrave, le parent peut s’adresser à l’ombudsman, présent dans chaque commission scolaire. Cela dit, Rollande Deslandes prévient que de prôner le droit de défendre les intérêts de son enfant sans prendre le temps de bien choisir les mots, le moment et, surtout, la personne à qui s’adresser, fait courir un risque à cette relation de collaboration : « La direction d’école s’attend à ce que les enseignants communiquent avec les parents et travaillent avec eux. Lorsqu’il y a des difficultés, ça se passe à un autre niveau. Ça peut se discuter avec la direction d’école. Ce qui me vient à l’idée, c’est l’exemple du parent qui envoie un courriel à l’enseignant, le matin, qui n’a pas de réponse durant l’avant-midi, et qui débarque à l’école pour s’adresser tout de suite à la direction d’école en disant : ?On ne m’a pas répondu !” Ce parent a oublié que l’enseignant doit s’occuper de 27 ou 28 élèves. »
Accorder à l’enseignant l’occasion d’offrir sa version des faits demeure la suggestion de base qu’offre Camil Sanfaçon pour désamorcer une situation susceptible de devenir conflictuelle : « On laisse l’enseignant parler sans l’interrompre à toutes les phrases. Ensuite, on peut dire : ?Voici ce que dit mon enfant. Est-ce que quelque chose peut être fait pour régler cela ?” C’est à ce moment que l’on pourra voir s’il y a vraiment une justice. Il n’y a pas d’autres moyens qu’en discutant. Et si cette démarche était faite plus souvent, probablement que nous n’aurions même pas besoin de nous en parler, nous deux, aujourd’hui, parce que la grande majorité des problèmes seraient déjà réglés, si on ne partait pas encore avec une seule des deux versions. C’est normal que quand un enfant vit une déception, il soit émotif et fâché. Il en a gros sur le cœur et il parle avec son langage de huit, dix ans. Il n’est pas forcément capable de rationaliser et de prendre le contexte en considération. »
Tout un contexte social à renégocier
Mais par-delà l’expression des bonnes intentions, de part et d’autre, il y a aussi tout le contexte auquel il faut tout de même s’adapter, que ni le parent ni le professeur n’ont choisi. Ni les uns ni les autres ne pourront changer le contenu du programme, les méthodes d’enseignement en vigueur, pas plus que le manque de ressources dans les écoles. Comment peut-on encore espérer une réponse adaptée aux besoins de son enfant dans de telles circonstances ?
Tous confrontés aux mêmes lacunes
Les classes de 25 à 30 élèves obligent les professeurs à ramener leur lot de corrections à la maison, et à consacrer moins de temps à chaque élève pendant les heures de classe. Ils se mettent aussi à passer plus de temps qu’ils ne voudraient à s’occuper des enfants dérangeants le groupe. Et Rollande Deslandes a pu constater que, s’il reste quelques minutes à grappiller, pour retrouver un meilleur équilibre, cela peut être du côté des parents et de leurs demandes particulières que se fera la coupure : « Il y en a pour qui ce n’est pas drôle et qui pourraient me répondre : ?Je n’ai même pas l’essentiel pour travailler dans ma classe. Je vais commencer par essayer de survivre et de livrer la marchandise. Alors on verra une autre fois pour les discours sur la communauté. Et, après, je vais prêter attention aux parents.” »
L’orthopédagogue et psychoéducatrice Marie-Claude Béliveau remarque que ce contexte peut pousser les enseignants à encourager les parents, peut-être trop fortement, à accepter les solutions qui contribueraient à la gestion des enfants plus difficiles. Cela expliquerait également la réticence des professeurs à adapter leur rythme éducatif à un seul enfant. Et, ce, d’autant plus que ces adaptations exigent des habiletés ou une expérience que tous n’ont pas encore forcément acquises : « Ce qui crée parfois des litiges, c’est que la médication, si on prend cet exemple, n’est pas la seule solution, c’est même loin d’être la seule. Les autres solutions sont des mesures adaptatives. Pour cela, il faut un professeur qui désire aller en ce sens. Cela signifie accorder plus de temps à l’enfant. C’est ce que nous recommandons souvent dans nos rapports d’évaluation : donner un tiers temps. Parce que pour compenser un problème d’attention sans médication, un enfant doit prendre son temps. Souvent, le professeur dit : ?Mais il ne prend pas son temps, il veut toujours être le premier.” Eh bien justement : pour qu’il prenne son temps, il faut l’inciter à le faire. Cela demande un investissement particulier du professeur pour cet enfant, alors qu’il en a 30 autres dans sa classe. »
Faute d’adaptation, les enfants se retrouvent souvent avec des devoirs qui s’accumulent, ils se démotivent devant l’ampleur de la tâche et les parents cachent plus ou moins bien leur frustration, en tentant de leur venir en aide. Il faut cependant savoir que l’enseignant n’a pas un pouvoir absolu sur ces questions : c’est le médecin, et non l’école, qui peut prescrire une médication et le parent doit l’accepter. Il n’en reste pas moins qu’il est de plus en plus attendu des professeurs et des éducateurs de dépister les problèmes afin d’aiguiller les enfants vers les bons spécialistes, et leur compétence à ce sujet est réellement reconnue. Pourtant, cette plus prompte analyse des besoins ne mène pas nécessairement à des solutions harmonieuses, affirme Rollande Deslandes, lorsque les ressources ne sont pas au rendez-vous : « À quoi ça sert de faire des dépistages si les enfants n’ont pas accès à des ressources qui leur sont rapidement accordées ainsi qu’aux parents ? J’entends toutes sortes d’histoires d’horreur. Les parents qui n’ont pas les moyens d’aller chercher des ressources du côté privé et qui se retrouvent sur des listes d’attente durant des années. Je n’ai pas de réponses à cela, mis à part de dénoncer cette incohérence. »
Par contre, ceux qui ont les moyens d’envisager des soins privés trouvent souvent un allié ou, plutôt, un médiateur fort enrichissant pour la discussion. Marie-Claude Béliveau constate que ces interventions en milieu scolaire sont généralement accueillies, si ce n’est avec bonheur, du moins avec attention : « Souvent, lorsque j’ai une demande d’évaluation, ça vient plutôt de la professeure qui dit aux parents : ?Vous devriez consulter. Nous, ici, nous n’avons pas les services.” À ce moment, les parents expliquent leur situation et la professeure va m’écrire une lettre. J’ai la version de l’école et celle des parents. Je leur envoie des questionnaires. On travaille ensemble. Donc, c’est fréquemment l’école qui le suggère. Cela peut aussi être le médecin. Ce n’est pas pour les parents que nous allons à l’école, et ce n’est pas pour leur dire quoi faire. On va là pour entendre ce qu’eux ont fait, ce qu’ils proposent et les limites des parents. »
L’école se complexifie
Et se rajoute aussi au rythme marathonien de la vie d’enseignant le fait de devoir multiplier les formations, pour se plier aux attentes du ministère, pour se sensibiliser aux questions qui touchent les familles, mais aussi, pour ne pas se laisser dépasser par les esprits vifs auxquels l’enseignant enseigne. En effet, se ménager une petite longueur d’avance demeure fondamental pour bien jouer son rôle de guide et de critique, selon Rollande Deslandes : « Nous avons fait une étude au moment où la réforme a été mise en place. On insiste beaucoup sur le fait que les enseignants sont davantage des facilitateurs. Mais on ne se cachera pas qu’ils doivent aussi être des transmetteurs de connaissances. Cela amène des défis, et je dirais que le principal en ce moment est ce qui a trait à tout ce qui concerne les technologies. Cela s’est développé énormément au cours des dernières années. »
Bien qu’il ne soit pas attendu par l’école que les parents comprennent ces transformations des façons d’apprendre et des technologies sur le bout de leurs doigts, Camil Sanfaçon admet que les parents peuvent se sentir parfois un peu perplexes, au moment d’accompagner la période des devoirs : « À moins que le parent soit très intéressé et achète tous les volumes, lorsque l’enfant arrive à la maison et parle de ce qu’il fait à l’école, l’adulte peut être très éloigné de ça, parce que ce n’est pas de cette manière qu’il a appris. »
Rollande Deslandes croit néanmoins que les parents devraient pouvoir compter sur l’enseignant pour ne pas trop souligner les petites lacunes de nos anciennes façons de faire, ni les divergences entre les principes dont l’école fait la promotion et les connaissances de la famille : « Je ne serai pas outrée devant un enfant qui me dit : ?Ma mère m’a dit que c’était ils sontaient”, de devoir répondre : ?Ta maman t’a dit ça, mais ici, on l’écrit de telle façon.” Mais ça s’arrête là. Nous n’argumentons pas, parce que ce serait comme dénigrer la mère et on n’est pas là pour la juger, ni pour la reprendre, ni même pour l’instruire ou l’éduquer. La question est de définir notre rôle comme enseignant. C’est l’enfant qui est au centre de notre intérêt et de notre travail. Il ne faut pas le perdre de vue. »
Il y a des limites à ce que l’on peut reprocher à l’école
Devant ces différents défis, Camil Sanfaçon comprend que les professeurs sentent le besoin de mettre leurs limites, quant aux comptes qu’ils rendent et les questions qu’ils posent, afin de protéger les limites des parents, mais aussi les leurs : « Une autre chose que je remarque aussi, de la part des enseignants, c’est la peur d’être indiscrets dans leurs questions : ils ne veulent pas aller trop loin. Parce que quand on va trop loin, sur le sujet de la famille, on risque de se faire envahir, si on montre beaucoup d’intérêt. Moi, j’ai vu des enseignants qui recevaient des messages à la maison, au téléphone, sur des sites, parce qu’ils avaient été un peu trop loin. Parfois, on prend l’enseignant pour un psychologue. »
Les parents doivent aussi accepter que les enseignants, même les plus attentifs et les plus compétents, ne puissent d’abord leur donner que certaines réponses partielles, concernant les difficultés que rencontre leur enfant, puisqu’il faut quelques années de retard pour reconnaître certains troubles. Une dure réalité que confirme l’orthopédagogue Marie-Claude Béliveau : « Lorsqu’il y a des difficultés d’apprentissage, à moins qu’elles soient majeures au point où on ait pu les remarquer dès la maternelle, quelque chose comme le déficit d’attention plus léger ou encore les problématiques de dyslexie ou de dysorthographie ne sont pas diagnostiqués avant neuf ans. »
Camil Sanfaçon insiste aussi sur le fait que le contenu du programme, incluant les nouveaux cours sur la sexualité, l’écologie, ou les valeurs religieuses, n’a pas grand-chose à voir avec les valeurs ou les choix personnels des professeurs. En conséquence, les tentatives de négociations avec l’école sur le sujet pourraient mener à des débats stériles : « Ce n’est pas l’école toute seule qui décidera ?Ici, on fait de l’éducation sexuelle et on prendra tel livre.” Ce sont des normes établies au niveau provincial. Une fois que cela est dit, c’est aux parents de prendre leur décision. Ils peuvent ne pas l’accepter, mais il n’y aura pas de changement simplement parce qu’ils ne l’acceptent pas. » Tout au plus, le parent peut-il décider de faire retirer son enfant d’un cours ou d’une activité.
Le parent peut bien sûr s’interroger sur les manières de passer la matière ou même sur les moments d’impatience qui peuvent venir teinter l’apprentissage. Mais Marie-Claude Béliveau souligne que le professeur peut s’attendre, de son côté, à être soutenu dans son rôle d’enseignant et de se voir accorder suffisamment le bénéfice du doute par les parents pour se vouer davantage à sa mission envers les enfants qu’aux jugements des parents : « Et ça fait partie du ?faire confiance au professeur”, au même titre qu’il est possible que le professeur soit moins bon une journée : il n’aura pas non plus à se justifier aux parents du fait qu’il s’est levé du mauvais pied. Son travail, c’est de faire le mieux qu’il peut. Et nous, comme parents, notre travail est de nous dire que nous faisons du mieux que nous le pouvons et que lui aussi fait du mieux qu’il le peut. »
Une collaboration à cultiver
La plupart des enseignants restent tout de même très conscients que le saut vers la grande école peut parfois éveiller davantage de crainte chez les parents que chez les enfants. C’est d’ailleurs afin de les apaiser que s’organisent les visites scolaires, surtout en début d’année, où le parent peut mettre à profit ces premières explorations des lieux pour rassurer son enfant. Encore faut-il, ensuite, poursuivre sur cette voie.
Des milieux qui gagnent à se connaître
Lyne Guérin souligne qu’il existe beaucoup d’autres options aux parents que de déclarer forfait, devant les craintes qui les envahissent. Le principal antidote, selon cette conseillère de la Fédération des comités de parents du Québec ? L’implication. Tout le monde ne sent pas nécessairement la flamme ou les aptitudes pour occuper des fonctions dans un comité exécutif. Mais madame Guérin précise que l’engagement peut déjà faire une grande différence, même s’il se limite à saluer le professeur, à visiter la classe ou encore à écouter ce que les parents des comités qui les représenteront peuvent bien avoir à dire. Les parents comprendront alors mieux ce qui est décidé, pourquoi et par qui : « Et il y a des parents qui vont être là, sur ce conseil. Ils vont être élus pour être là, par les parents de l’école, pour prendre les décisions des sorties, des budgets. Il s’agit donc de participer, de s’impliquer pour développer un sentiment d’appartenance et une confiance. Pour le parent qui est craintif, ces rencontres-là sont importantes. C’est juste quelques heures en début d’année. Cela ne demande pas une implication magistrale, à moins d’être disponible et de vraiment vouloir s’investir. »
L’action essentielle qui fera la différence cependant n’est pas tant l’implication du parent dans tous les comités. Elle réside plutôt dans les chances que se donne le parent, le soir venu, de comprendre ce que l’école tente d’inculquer à son enfant, les consignes qu’il doit suivre et de tenter d’aller dans ce sens. L’attente concrète des professeurs envers les parents, explique Rollande Deslandes, repose donc principalement sur la préparation des soirs et des matins : « Souvent, c’est en lien avec les devoirs et leçons. On s’attend à ce que l’enfant soit préparé à venir à l’école : donc, le départ le matin. On s’attend à ce que l’enfant fasse ses travaux et qu’il transmette les mémos de l’enseignant aux parents. » Ce désir de collaborer peut aussi se manifester par la manière dont le parent se plie aux demandes de l’école d’acheter telle couleur de cartable ou tel type de crayon, même si la pertinence de la chose ne lui saute pas toujours aux yeux.
Des tâches à ne pas déléguer
Cet appui est aussi attendu en ce qui a trait à l’attitude. Le professeur a sans doute sa conception du respect et espère peut-être trouver du soutien du côté du parent, si l’enfant en manque. Le problème est que le parent et le professeur n’ont pas toujours la même conception du respect. Marie-Claude Béliveau suggère néanmoins aux parents de garder parfois leurs impressions pour eux-mêmes, surtout si le comportement que l’on serait tenté de reprocher à l’enseignant semble plutôt relever de la maladresse ou d’une différence de vision que d’un réel manque de respect. Elle propose même d’en profiter pour inciter l’enfant à s’exprimer selon des normes différentes de celle de la maison et, peut-être, de se mettre plus habilement à l’écoute du contexte : « Mais, si l’enfant se sent injustement traité ou injustement puni, on peut lui demander d’aller voir le professeur pour lui en parler, à un moment qui va lui convenir, parce que si tu fais ça devant tout le monde, dans la classe, les résultats risquent d’être moins bons. Les parents ont un travail d’éducateurs plutôt que de professeurs remplaçants. »
Mais aucun des parents et experts rencontrés n’ira jusqu’à suggérer de jouer les fantômes, lorsque les relations s’enveniment. Car un enseignant qui s’inquiète à propos des agissements d’un enfant et qui peine à trouver des réponses de la part des parents aura aussi la dure responsabilité de vérifier s’il n’apparaît pas d’autres symptômes pouvant indiquer une négligence. Les professeurs sont de plus en plus sensibilisés aux signes et aux raisons qui peuvent expliquer qu’un parent se montre moins présent parce qu’il vit un problème temporaire. Ils ne sont pourtant pas à l’abri des conclusions un peu hâtives, lorsqu’ils manquent d’éléments de réponses. Mettre le professeur au parfum de ce qui se passe à la maison demeure néanmoins une façon de l’aider à mieux interpréter et réagir à la situation.
Pourtant, Camil Sanfaçon remarque que, du côté des parents aussi, il peut être judicieux de veiller à ce que leurs propres préjugés ne les envahissent pas trop vite, que ce soit à propos de l’enseignant ou du milieu scolaire : « Un autre préjugé existant est : ?Cette école est située dans un quartier défavorisé. Il n’y a que des enfants en difficulté ici. Donc, dans cette école, ça va très mal : il n’y a pas de discipline.” Pour avoir travaillé dans des écoles en milieux défavorisés, je peux vous dire que, parfois, c’est le contraire : il va y avoir plus de discipline, parce que le besoin a été encore plus clairement identifié que dans une école où ça va bien. »
Savoir négocier, une compétence au programme des grands
Lorsque l’enfant a épuisé tous les moyens à sa disposition, il peut arriver qu’une rencontre entre adultes s’impose. Angoissante, la rencontre avec le professeur ? Parfois oui, même lorsqu’on devient grand. Les parents pourraient néanmoins s’attendre à se retrouver, au moins un peu, en pays de connaissance, quand ils se présentent à ces fameuses réunions : ils devraient avoir été informés du thème général de la rencontre, de ce qui y sera discuté, et savoir s’il est préférable que l’enfant les accompagne. Une fois sur place, l’équipe-école devrait être en mesure de donner des exemples précis et concrets des comportements ou des résultats problématiques. Ainsi, il semble que, lorsqu’une telle rencontre s’annonce, les vertus de la préparation l’emportent sur les charmes de la spontanéité. Et cela vaut aussi du côté des parents, qui ont tout avantage à faire le bilan de ce qui a été essayé, de ce qui a bien et moins bien fonctionné, afin de s’engager sur des voies plus prometteuses.
Ces échanges permettent alors d’envisager quelles solutions s’appliqueraient dans un contexte de près d’une trentaine d’élèves par classe, mais, aussi, celles qui ne le pourraient pas. Car les éducateurs rencontrés s’entendent sur le fait que l’attitude de « parent-client », qui exige la satisfaction de ses attentes et de ses propositions comme un droit, peut mener à des impasses. Par contre, Rollande Deslandes suggère que d’admettre sincèrement ses interrogations et partager ce qui fonctionne de part et d’autre peut faire avancer beaucoup plus efficacement le dialogue : « Parce que parfois, il y a des parents qui déclarent : ?Je lui ai dit quoi faire, au professeur.” Mais ça, ça ne se dit pas comme ça. On peut plutôt proposer : ?Avez-vous pensé à…?”, ?Si on essayait cela…” Le parent peut même dire à l’enseignant : ?Vous savez, moi, à la maison, j’ai essayé telles choses et il me semble que ça va mieux depuis que je fais ça. Pourrait-on essayer à l’école ?” Ça, je l’ai vu. J’ai aussi vu l’inverse : l’enseignant qui propose à un parent d’essayer quelque chose. L’enseignant n’a pas à s’immiscer dans la vie familiale. Mais lorsqu’il est question de réussite scolaire, il peut voir ce qui pourrait être fait pour que la situation s’améliore. »
Il arrive que, malgré tout, certaines vues demeurent incompatibles entre les parents et les professeurs. Avant de réagir trop promptement, chacun a néanmoins intérêt à prendre un peu de recul pour voir s’il n’y aurait pas un aspect très émotif dans tout cela. Outre les politiques de l’école et les techniques de gestion de classe, chacun a son histoire et ses fragilités. Il est donc fort probable que le retour à l’école, avec ses enfants, éveille quelques souvenirs attachants ou, au contraire, entrouvre quelques plaies que l’on n’a jamais vraiment su refermer.
Voilà pourquoi, lorsque Camil Sanfaçon est appelé à intervenir parce que la tension monte, il rappelle à chacun que l’on n’exige pas d’eux qu’ils ressentent une sympathie réciproque ou développe une camaraderie, comme sur les bancs d’école. Il leur demande simplement d’ouvrir la porte à l’enfant, pour qu’il puisse se tailler de meilleurs souvenirs : « Moi, je me souviens avoir vu des impossibilités de s’entendre entre le parent et l’enseignant, parce qu’il y avait des incompatibilités de caractère. Le parent n’aimait pas le professeur, et vice versa. Il vient un moment où il faut faire avec, parce qu’il y a l’enfant dans tout ça. On ne peut pas laisser l’enfant payer pour le fait que l’on ne s’entend pas avec un autre adulte. »
Merci à :
Camil Sanfaçon, ancien enseignant, directeur d’école et maintenant formateur en éducation cheneliere.ca/1327-auteur-camil-sanfacon.html
Lyne Guérin, élue sur le comité exécutif de la Fédération des comités de parents du Québec en tant que conseillère pour les régions de Montréal et de Laval
Marie-Claude Béliveau, orthopédagogue et psychoéducatrice chez Centre psychopédagogique Le Déclic et Clinique TDAH Montréal
Rollande Deslandes, chercheure et professeure émérite au département de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières
Pour en savoir plus :
POUR LES PARENTS :
Béliveau, Marie-Claude. Au retour de l’école, La place des parents dans l’apprentissage scolaire, 3e édition, coll. du CHU Sainte-Justine pour les parents, Montréal, Éditions Sainte-Justine, 2019.
Et pour des conseils personnalisés et gratuits : fcpq.qc.ca/fr/services-conseils
POUR LES PROFESSIONNELS :
Camil Sanfaçon. Complices dans la réussite, Pour une collaboration efficace avec les parents, coll. Didactique, Montréal, Éditions Chenelière Éducation, 2011.
POUR APPROFONDIR LA QUESTION :
Gilles Pronovost, et coll. Familles et réussite éducative, actes du 10e symposium québécois de recherche sur la famille, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2010.