Date de publication
Ressource
Marie-Hélène Proulx
S’il y a bien un phénomène qui n’a pas attendu la COVID-19 pour affecter les enfants, c’est celui des joies et des peines d’amitié. Et lorsqu’on doit gérer les relations entre enfants par webcam, et négocier la venue d’un copain trop bruyant qui s’invite à la maison, cela modifie, et parfois complique, le fragile équilibre télétravail-famille.
Des amis, juste à moi !
Cette année, les professeurs entendent bien se rattraper pour transmettre, durant les heures officielles de cours, les bases du français et des mathématiques. Et les chercheurs et les cliniciens en psychologie et en psychoéducation assurent que le corpus des apprentissages que s’enseigneront les copains dans un coin de la cour de récréation ou de la salle des dîners est au moins aussi imposant.
Grandir en sortant de sa coquille
Comme l’affirme avec conviction la psychologue et auteure de L’amour et l’amitié chez l’enfant, Rachel Briand-Malenfant : « Premièrement, ce que l’amitié a de très important sur le plan du développement psychoaffectif, c’est tout l’apprentissage de la socialisation. C’est tout ce que cela implique, de façon globale, pour le développement d’un enfant : on parle de la gestion de conflits, de la gestion des émotions, du respect de l’autre, et de la conscience de l’autre comme une personne qui a ses propres besoins et ses propres façons de penser. Donc, c’est aussi l’empathie et la communication. »
L’enfant apprend qu’il n’a pas toujours besoin de compter sur ses parents pour se débrouiller. Est-ce que ça signifie qu’il a hâte de pouvoir « tout faire tout seul », comme il s’en vante parfois lui-même ? André Plamondon, chercheur sur les relations parent-enfant et la psychopathologie à l’Université Laval, tente de nuancer cette impression. Pour lui, la quête d’autonomie de l’enfant le pousse beaucoup plus à se chercher de nouveaux complices avec qui passer des moments agréables, qu’à tenter de s’éloigner de ses parents : « Mais une des distinctions qui est assez importante à faire à mon avis, c’est celle entre le besoin d’indépendance, donc de faire des choses tout seul, et le besoin d’autonomie, qui est de pouvoir décider pour nous-mêmes, tout en sachant que les autres sont là pour nous. Une des choses qui est vraiment importante à l’adolescence, pour les parents en tout cas, ce n’est pas nécessairement de parvenir à ce que les enfants puissent se débrouiller tout seuls, sans notre aide, mais que les jeunes puissent développer des compétences pour se débrouiller en société, tout en sachant qu’il y a des gens autour d’eux qui vont être là s’ils en ont besoin. »
De même, Stéphanie Deslauriers, psychoéducatrice et auteure de Socialement génial, assure que cette démarche vers l’autre est teintée par l’assurance que l’on a pu acquérir, ou non, d’être une personne aimable, ou les petits trucs que l’on développe pour faire craquer son entourage : « Lorsqu’un enfant a une bonne estime de soi, il lui est plus facile d’aller vers les autres. Souvent, lorsque tu abordes les autres de façon prosociale, tu reçois une réponse positive et prosociale, qui vient confirmer que tu es une personne aimable et agréable. » Un désir de validation qui comporte des risques, mais demeure validé par l’attrait que peut représenter un potentiel partenaire de jeu.
Les amis de l’extérieur permettent aussi, d’après Rachel Briand-Malenfant, d’accéder à une nouvelle forme d’apprentissage et de liberté : en les choisissant, l’enfant commence aussi à choisir les rôles qu’il veut adopter dans une relation, quitte à en essayer plusieurs en cours de route. En cela, l’amitié s’avère très différente de la vie à la maison où les rôles se trouvent plus ou moins imposés, dès les premières années : « Le classique, c’est un peu l’aîné qui est plus sérieux et le plus jeune qui est plus tannant. Mais cela peut prendre différentes formes. Il est certain que la famille fait en sorte que chacun occupe un rôle plus ou moins défini. Il va aussi y avoir des alliances entre certains membres de la famille. Il va donc y avoir quelque chose qui est un peu comme la force du groupe et qui va venir teinter les relations fraternelles. De plus, souvent, les enfants vont devenir frères et sœurs très jeunes, alors il y a toute la dimension du partage de la maman et celle de la rivalité. Il y a la question de savoir qui sera considéré comme désirable ou indésirable lors de l’arrivée d’un nouvel enfant. Bien sûr, tout cela n’est pas discuté ouvertement à la table du souper. »
MON ENFANT : SES VALEURS !
Graduellement, explique Stéphanie Deslauriers, en multipliant les expériences au cours du primaire et du début de secondaire, les jeunes parviennent à prendre conscience du bien-être que leur apporte la présence d’une personne, par-delà le plaisir immédiat associé à un contexte ou à une activité précise : « Vers huit, neuf ou dix ans, non seulement nous voulons trouver des enfants avec des intérêts communs, mais, surtout, nous voulons des amis avec lesquels nous nous sentons bien. ?Est-ce que je me sens bien avec toi ? Est-ce que je me sens appréciée ou, dès que le dessin est terminé ou que nous le faisons ensemble, est-ce que tu dénigres mon dessin, tu ne veux pas me prêter des crayons, tu déchires mon papier ? Si je ne me sens pas bien avec toi, je n’ai plus d’intérêt à jouer avec toi.” »
Développer la capacité de choisir ses amis amène aussi à se détourner de certains autres. Voilà donc une raison d’être déçu pour les parents qui aimeraient tant que le plaisir des retrouvailles entre amis soit partagé par tout le monde. Jean-François Bureau, de l’Université d’Ottawa, a dû lui-même renoncer à voir les enfants de ses meilleurs amis se manifester de l’intérêt mutuel. Ce professeur en psychologie reconnaît même que la pression et l’envie de blâmer l’enfant de l’autre ont baissé d’un cran, lorsque les parents ont admis la réalité telle qu’elle était : « Ils viennent chez nous. Ils apportent des B.D., ils s’installent dans un coin et ils ne dérangent personne. Ils ne font même pas semblant de s’entendre et nous, on ne leur demande pas cela non plus. Ce que nous avons dû gérer, comme parents, c’est d’arrêter d’avoir l’attente qu’ils deviennent amis. Nous avons arrêté de les inviter à la fête l’un de l’autre, sous prétexte que le parent venait. »
Plus l’enfant grandit, plus il parvient à observer et à comprendre les dynamiques autour de lui. Ainsi, ses relations contribuent à ce qu’il découvre avec ses amis, mais aussi dans leur famille, des façons de faire, de partager, de régler des conflits, différentes de la sienne. C’est alors qu’en s’approchant du monde des grands, il commence à faire le tri entre ce qu’il voit, ce qu’il aime ou n’aime pas, ce qu’il voudrait ramener chez lui, ou reconnaître ce qui confirme le bien-fondé des principes que papa a toujours dits. Cela explique le jour inévitable où il annoncera à ses parents que certains de ses amis lui laissent faire telle chose super chouette, ou qu’il remettra en question ses propres façons de vivre.
Encore parents, malgré tout
Est-ce dire qu’il faut renoncer à laisser son empreinte sur les êtres que nous chérissons le plus au monde pour les laisser grandir ? Pas tout à fait, car dans le mélange entre les modèles dont l’enfant s’inspire, lorsque l’incertitude s’installe, les parents continuent de jouer un rôle important.
Intervention discrète demandée
Rachel Briand-Malenfant utilise alors l’allégorie du carré de sable pour illustrer l’espace que l’enfant peut explorer, tout en sachant que son parent veille derrière les balises en constante mouvance en fonction de l’âge et du contexte. Cette psychologue indique d’ailleurs que le soutien discret du parent peut constituer un atout de taille, lorsque l’enfant en arrive à un point où il prend conscience qu’il ne veut pas vraiment renoncer à un ami qu’il a blessé ou à qui il a fait de la peine : « Cela sera d’ailleurs un rôle important de la part des parents d’essayer d’aider les enfants à apprendre cela. C’est un apprentissage très important et qui doit se faire. Les enfants doivent apprendre qu’il y a une place pour l’ambivalence. Il y a une place pour ne pas aimer certains aspects, une place pour pardonner ou encore pour réparer ce qui a pu être brisé. »
Dans de telles circonstances, l’intervention se produit habituellement après les faits, lorsque la poussière commence à retomber. Dans le même sens, Stéphanie Deslauriers croit que les parents ont souvent avantage à prendre leur mal en patience jusqu’à ce que les copains s’en aillent, même dans le cas où l’on surprendrait son enfant en flagrant délit de manque d’affirmation. Bien sûr, le soutien d’un parent peut amener un peu de douceur à l’enfant qui vient de vivre sans broncher un manque de respect d’un ami ou s’est soumis un peu trop promptement à lui. Mais madame Deslauriers rappelle que le but ultime est de lui apprendre à se défendre lui-même : « Est-ce qu’il est extrêmement influençable ? Ce serait alors un signe de faible estime personnelle et de manque d’affirmation de soi. Mais d’où proviendrait ce manque d’estime personnelle ou d’affirmation ? Comment pourrais-je aider mon enfant à se faire plus confiance et à dire : ?Je n’aime pas lorsque tu me dis cela. Je n’aime pas quand tu fais cela. Je ne partage pas ces valeurs-là avec toi.” » Le parent pourrait donc lui-même y entrevoir une raison de réajuster son approche.
Pourtant, le choix de n’intervenir que sur demande ne constitue pas non plus une panacée. Lorsque l’enfant risque de subir des attitudes destructrices ou d’avoir des comportements dangereux dans un avenir assez rapproché, sous l’influence des autres, Stéphanie Deslauriers change son fusil d’épaule et encourage à passer à l’action : « C’est notre rôle de parent d’assurer la sécurité de notre enfant. Donc, si nous parlons de méfaits, de consommation, de relations sexuelles précipitées, il faut intervenir. Et si nous n’y arrivons pas par nous-mêmes, il faut aller chercher de l’aide : que ce soit de l’aide professionnelle ou autre pour nous aider avec notre enfant. »
GRANDS CONFLITS ET CONFLITS DE GRANDS
Ainsi, pour le meilleur ou pour le pire, les parents se confrontent aux limites de leur intuition et de leurs valeurs, pour savoir quand agir. Il n’en reste pas moins un certain consensus sur les attitudes à éviter à tout prix, si on ne veut pas aggraver les choses ou même être aux prises avec des imbroglios légaux. Ainsi, selon l’avis de tous les experts, aller à la rencontre des parents que l’on ne connaît pas, à l’école, à leur domicile, ou même seulement par téléphone, pour se plaindre directement du comportement de leur enfant, ferait partie des comportements à proscrire impérativement.
Stéphanie Deslauriers a fait les frais d’une telle attitude dans sa propre vie parentale, lorsqu’une mère s’est présentée à sa porte : « C’était vraiment très intrusif. Elle aurait dû s’adresser à l’école. Légalement, c’est l’école qui est responsable de cela, quitte à ce que l’école nous mette en contact. Mais il faut demander notre consentement avant de donner nos coordonnées et proposer un endroit neutre pour se rencontrer, comme une école justement, et pas dans le salon d’une personne que tu n’as pas invitée et qui se présente chez vous, émotive, les baguettes en l’air. »
D’ailleurs Stéphanie Deslauriers signale qu’il n’est pas rare que, de génération en génération, les enfants d’une même famille se heurtent à des problèmes similaires : « Alors, pour eux, ça va être difficile de transmettre de bonnes habiletés sociales à leurs enfants lorsque eux-mêmes, comme adultes, ne les ont pas développées. » Ce rappel du passé pourrait rendre la situation plus émotive encore, ce qui pourrait nuire à l’objectivité et pousser les enfants à se taire.
Les parents doivent, il est vrai, admettre leurs limites. Lorsque le problème semble plus complexe ou plus traumatisant, l’école, un intervenant ou un clinicien, peut alors apporter un coup de pouce. Mais recourir ainsi à de l’aide, n’est-ce pas confirmer que le problème est trop gros, même pour les grandes personnes les plus touchées par la situation ?
Selon Stéphanie Deslauriers, chercher du soutien extérieur ne signifie cependant pas nécessairement se mettre en quête d’un professionnel. Il s’agit parfois simplement d’accepter que l’enfant préfère révéler à d’autres ses frictions avec ses amis ou les raisons pour lesquelles il n’amène pas souvent d’amis à la maison : « Mais s’il n’ose pas parler avec nous, a-t-il une autre personne à qui il pourra parler ? Est-il bien entouré ? A-t-il des confidents dignes de ce nom : d’autres adultes, un grand frère, une grande sœur, un oncle, une tante, un parrain, une marraine, un prof ou une intervenante ? Je crois que cela revient à l’idée qu’il faut un village pour élever un enfant. Ici, au Québec, à notre époque, c’est comme si nous disions que les parents devaient répondre à tous les besoins de leurs enfants, tout au long de leur vie. Mais c’est archifaux. Il faut aussi construire un tissu social autour de nos enfants. »
NÉGOCIER EN PAYS DE CONNAISSANCE
Cependant, lorsque vient notre tour d’intervenir auprès des enfants des autres qui se retrouvent sous notre garde, la tentation peut alors devenir forte de laisser couler, afin d’éviter que notre attitude soit perçue comme un jugement de valeur. Mais la psychologue Rachel Briand-Malenfant n’abonde pas dans ce sens, argumentant même qu’offrir à un copain visiteur l’occasion de réparer une parole blessante ou un pot cassé, chez une famille dont il ne connaît pas vraiment les règles, pourrait l’apaiser et l’aider à passer à autre chose : « Amener les enfants à réparer une erreur peut avoir quelque chose de bénéfique, parce que les enfants aussi peuvent se sentir mal à l’aise d’avoir fait une erreur. Réussir à réparer peut enlever la culpabilité. La façon dont je perçois l’encadrement, comme la plupart de mes collègues d’ailleurs, c’est un acte bienveillant envers l’enfant. »
Rachel Briand-Malenfant souligne toutefois que lorsque les parents se sentent directement confrontés dans leurs valeurs par les actes ou les paroles d’un copain, il vaudrait mieux négocier la question entre adultes, en évitant de remettre en question le jugement des autres devant les enfants : « Il y a une partie de cela qui est à négocier dans la relation d’amitié entre les adultes. On peut déterminer avec eux jusqu’où nous pouvons intervenir lorsqu’ils nous laissent leurs enfants, déterminer avec eux quels rôles nous avons comme adultes. »
André Plamondon ira même jusqu’à suggérer de mettre ces limites sur la table, entre parents, dès les premières visites, sur le type d’encadrement qui est attendu. Un principe un peu contradictoire, donc, avec celui de ne surtout pas aller blâmer les parents des autres sur le seuil de leur porte ? Pas nécessairement répond-il, puisqu’à partir du moment où les relations de collaboration se tissent autour des enfants ou que les parents ont pu se découvrir quelques affinités à force de se croiser, le désir sincère de s’investir pour apaiser les tiraillements d’une relation enfantine peut, lui aussi, être partagé : « Si ce sont des gens avec qui nous sommes un peu obligés d’interagir, lorsque ce sont des personnes que nous connaissons moins, le désir de vouloir résoudre des problèmes va probablement être beaucoup moins fort. »
Rachel Briand-Malenfant reconnaît que la question devient plus compliquée lorsque ce ne sont pas tant la présence ou l’intrusion des meilleurs copains de nos enfants qui dérangent que l’attitude de leurs parents. Mais comme l’ensemble des chercheurs, elle finit par se ranger à l’idée qu’à moins que des valeurs fondamentales soient en cause, il vaut souvent mieux laisser couler : « Si les enfants ont un lien très positif, il faut trouver un moyen de ménager la relation cordiale avec les adultes avec qui c’est plus difficile, tout en faisant respecter nos besoins et, si on est dans le cas d’une intrusion chez nous, d’établir qu’il y a une limite à ne pas franchir. »
Le dialogue, un mot à la fois
Entre les propos d’experts qui nous répètent qu’il ne faut pas se prendre pour les amis de nos enfants et ce besoin si évident de trouver des modèles pour les guider dans leur socialisation, comment peut-on trouver le mot juste ?
D’abord, garder les canaux ouverts
Stéphanie Deslauriers mentionne qu’une attitude de compréhension et de retenue constitue une première façon de tracer la voie, lorsque les limites qui nous tiennent à cœur ont été franchies. Elle rappelle alors que même si le comportement nous révolte, que ce soit parce que notre enfant subit un comportement déplacé ou le fait subir, il s’agit quand même d’un enfant qui ne tente par-là que d’exprimer ce qu’il ressent avec les moyens qu’il a : « Il ne faut pas oublier non plus que c’est seulement un enfant ou seulement un adolescent : c’est-à-dire que, même nous, comme adultes, si quelqu’un nous coupe en voiture ou oublie son clignotant, est-ce que nous réagissons tous calmement ou nous nous emportons et nous disons de gros mots ? Nous-mêmes, comme adultes, ça nous est souvent difficile de gérer les émotions et d’exprimer clairement ce que nous voudrions exprimer. »
Apprendre que notre enfant fréquente un petit copain qui a volé de la gomme au dépanneur ou s’est laissé malmener reste néanmoins difficile à entendre. Mais Rachel Briand-Malenfant rappelle que le dévoilement n’est pas non plus toujours très facile pour l’enfant, et que s’il le fait, c’est sans doute qu’il cherche un soutien solide : « C’est sûr qu’il y a des degrés dans tout ça. S’il y a un cas de négligence, de rejet ou d’intimidation, nous avançons sur le continuum des blessures intérieures que cela peut amener à l’enfant. Je pense que c’est déjà une très bonne chose que l’enfant demande l’aide. Je pense que l’on peut commencer par reconnaître le bon côté de cela et le féliciter de nous accorder sa confiance. Nous pouvons reconnaître que nous serons pour lui un adulte qui va être présent, accueillant et solide, donc, un adulte qui pourra prendre position si c’est nécessaire. »
Mais une attitude plus posée permet aussi d’apprivoiser l’enfant à l’idée que le dévoilement d’un comportement imparfait avec ses pairs ne lui vaudra pas des conséquences si terribles. Il s’agit donc, pour les parents, comme le dit le professeur de psychologie Jean-François Bureau, d’une stratégie fondamentale pour maintenir les liens de confiance jusqu’aux grands « brasse-camarade » de l’adolescence : « Parce que je veux qu’elle vienne me voir le jour où son chum va la laisser là, le jour où elle aura du sexe non protégé, que son chum est revenu d’une soirée en voiture avec elle, complètement saoul, ou lorsqu’elle aura participé à briser le vélo d’une amie, je vais vraiment être content qu’elle m’en ait parlé. »
ET TOI, QU’EN PENSES-TU ?
Cette humilité pour doser l’ardeur de l’intransigeance peut aussi aider à soutenir l’enfant dans sa persévérance, s’il est confronté à une problématique plus complexe, dans la mesure où il sait que papa et maman seront capables d’entendre que les conseils qu’ils ont proposés ne fonctionnent pas à tout coup. Si c’est plus qu’un petit malentendu, il faudra également que le parent s’attende à faire équipe à plus long terme.
Encadrer les essais erreurs des enfants en les incitant à chercher leurs propres réponses constitue déjà une bonne partie de la solution. Et pour cause, Jean-François Bureau a pu remarquer, avec sa fille, qu’une ou deux questions ont permis de faire le lien entre les notions de respect, dont ils avaient déjà parlé à la maison, et une situation précise : « Ma fille avait une amie qui lui faisait faire des mauvais coups à sa place. L’amie voulait les faire, mais elle n’osait pas, alors elle faisait des menaces à ma fille pour qu’elle y aille. Cela m’a pris une seule conversation sur le respect. Je lui ai demandé : ?As-tu l’impression qu’elle te respecte ?” Elle m’a répondu ?Non, elle m’utilise.” Elle l’a sorti elle-même. À partir de ce moment-là, c’était fini. Ma fille a réglé le problème sans que je doive intervenir. »
Ce professeur en psychologie admet que le premier concerné admettra probablement moins aisément qu’il y a lieu de s’interroger, s’il se retrouve du côté des influenceurs néfastes, voire des intimidateurs. Mais il peut s’agir là néanmoins d’un moyen privilégié pour amener l’enfant à se mettre dans la peau de l’autre : « Il ne faut pas faire semblant de ne pas l’avoir vu. Et il faut toujours développer l’empathie : ?Comment te sentirais-tu, toi, si quelqu’un te faisait ça ?? Et si l’enfant a de la difficulté à articuler cela, il faut revenir à la charge et poser la même question, d’une autre façon, jusqu’à ce qu’il saisisse et comprenne l’effet qu’il a sur les autres. »
UN PEU D’AMITIÉ VIRTUELLE POUR COMPENSER ?
Comme les parents ne peuvent pas offrir toutes les réponses sur un plateau d’argent en ce qui concerne l’apprentissage de l’amitié, l’apprentissage de la socialisation, dont les enfants bénéficient maintenant au compte-goutte, inquiète les spécialistes de l’enfance. De leur côté, les parents, un peu à tâtons, en viennent souvent à modifier leurs règles pour laisser leurs enfants vivre un peu d’intimité, si virtuelle soit-elle.
Aucun des spécialistes consultés n’ira jusqu’à prétendre que les relations en ligne parviennent à combler tous les besoins auxquels répondaient avant les compagnonnages de camps de jour. Rachel Briand-Malenfant prévient que l’impossibilité d’un rapprochement autre que virtuel affecte particulièrement les plus jeunes, qui saisissent moins les valeurs abstraites qui les unissent aux autres : « C’est sûr qu’aujourd’hui les enfants sont doués pour s’adapter : ils arrivent à comprendre de plus en plus que la personne est quelque part ailleurs, mais quand même en contact avec eux : ce qui est une notion difficile à comprendre pour un enfant qui est encore dans la pensée concrète. Mais cela reste que ce n’est pas la même proximité. Ce n’est pas la même possibilité de s’approcher, de se toucher ou encore de saisir les nuances dans le ton de la voix ou dans le regard. »
Quant à elle, Stéphanie Deslauriers affirme qu’il serait assez irréaliste, avec la situation présente et l’avancée des technologies, d’essayer de s’en tenir trop strictement aux règles d’or de la sécurité informatique, telles qu’elles furent prodiguées il y a 5 ou 10 ans : « On sait que maintenant les adolescents, et même les préados, ont tous leur cellulaire et leur tablette, même souvent leur propre ordinateur portable dès le secondaire. Alors, est-ce que la recommandation de laisser l’ordinateur familial dans un lieu commun est réaliste ? Pas du tout. » Heureusement, la technologie évolue aussi quant à ses façons d’offrir aux parents de nouvelles façons d’instaurer des balises. C’est le cas avec les logiciels comme Messenger Kids, qui permet maintenant aux parents de proposer aux enfants un système de messagerie où la possibilité d’une supervision parentale à tout moment fait partie des options de base.
Cela ne justifie pourtant pas, aux yeux de Jean-François Bureau, de surveiller en tout temps des enfants qui, quelques mois auparavant, s’enfermaient ensemble dans la chambre tout l’après-midi. À son avis, le seul fait d’avoir la possibilité de jeter un œil de temps en temps contribue déjà à calmer le jeu et à assurer une certaine sécurité : « Je ne parle pas d’enfants de trois ou quatre ans que je dois surveiller. Je parle de grandes filles qui sont peut-être capables de jouer toutes seules. Évidemment, elles vont venir me voir pour avoir un Popsicle. Mais juste le fait que je sois là, par exemple si elles sont dans l’auto et que je suis en train de conduire en écoutant la musique, elles savent que j’entends ce qu’elles disent. La conversation ne sera pas la même que si je ne suis pas là. »
LES ENFANTS, SENSIBLES AUX RÈGLES DU JEU
L’idée de s’autoriser à jeter constamment un œil sur la messagerie de ses enfants peut sembler se conformer aux principes de base de la supervision parentale en ligne. Elle apparaît cependant difficile à concilier, à première vue, avec nos propres souvenirs de jeunesse, où l’espionnage de nos conversations téléphoniques par les parents représentait la trahison suprême. Mais Stéphanie Deslauriers mentionne que cet accès que s’autorise le parent aux conversations entre amis, passe plus facilement au statut d’acceptable, lorsqu’il a été convenu et justifié au préalable : « À partir de là, on peut avoir une conversation franche avec son enfant : ?Là, nous te créons un compte Messenger, mais voici les modalités.” À partir de là, il n’y a pas de cachotteries. »
Il ne s’agit là que d’un cas parmi bien d’autres où la transparence et l’explication du « pourquoi » contribuent à l’acceptation de l’idée que la liberté des uns commence où celle des autres se termine. Faute de permettre aux enfants de changer les règles, cette transparence permet aussi aux enfants de présenter leur perspective et de parler de ce qui leur tient à cœur. Ainsi, explique Rachel Briand-Malenfant, les parents peuvent appliquer leurs principes tout en veillant à ne pas placer leurs enfants devant des situations ingérables à leurs yeux : « S’il n’y a qu’une seule place disponible parce que l’activité coûte cher, ça fait partie de la réalité. C’est important de pouvoir admettre ses limites tout en prenant en considération les besoins de l’enfant. Ce qui me viendrait en tête c’est : est-ce que cela va le mettre dans l’embarras parce qu’il doit choisir entre deux meilleurs amis ? À ce moment-là, il faut se demander comment nous allons l’accompagner dans ce choix difficile et comment nous pouvons l’aider à atténuer les conséquences qui s’ensuivront pour lui, mais tout en reconnaissant qu’il existe d’autres réalités que la sienne, et qu’elles ont leur raison d’être aussi. »
Bien sûr, il est fort possible que l’enfant manifeste quelques réticences avant d’accepter des compromis avec maman ou la petite sœur. Cela ne change pourtant pas le fait, assure Jean-François Bureau, que les enfants parviennent généralement à faire preuve d’une souplesse étonnante, lorsqu’il s’agit de passer quelques heures sous un toit où les règles divergent des nôtres, au point où nous nous demandons comment nous nous y adapterions nous-mêmes : « Par exemple, il y a une amie dont la mère oblige à toujours ranger un jeu dès que l’on finit. Chez nous, ce n’est pas comme ça. Mais ma fille sait que ce sont les règles lorsqu’elle va là-bas. Les premières fois, elle n’aimait pas ça, mais elle a fini par se faire à l’idée. »
Voir nos propres enfants revenir ainsi tout sourire de leur visite amicale peut parfois laisser l’impression que l’on risque de perdre son statut de parent cool, la prochaine fois que l’on établira une règle (et, avouons-le, le titre de parents cool, on y aspire tous secrètement). Mais, sur ce point, Jean-François Bureau se veut rassurant en évoquant que c’est souvent chez les familles offrant un cadre stable et chaleureux que certains ados préfèrent venir squatter : « C’est plus délicat lorsque c’est un adolescent qui s’évade un peu d’une réalité plus difficile et qui vient rechercher quelque chose de bon, d’encadrant et de plus agréable chez nous. […] Souvent, l’ado manifeste ainsi un vote de confiance envers les parents. »