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Anik RouthierMa meilleure amie m’a fait bien rire récemment. Elle m’appelle, tout offusquée : alors qu’elle imaginait revenir du travail et savourer le dernier morceau d’un gâteau qu’elle avait vaillamment cuisiné et dont elle n’avait pas encore savouré sa juste part, son fils unique, âgé de 10 ans, avait contrecarré ses plans et mangé ledit morceau, sans aucun égard pour sa pauvre mère affamée.
L’incident a soulevé la grogne chez mon amie, qui réalisait que son fils se gâtait souvent ainsi, sans en laisser pour les autres membres de la famille. Lorsqu’elle m’a demandé comment je gérais ce genre de situation avec mes enfants, je lui ai dit que personne, chez moi, n’osait gober les gâteries des autres. Jamais. Jamais ! JAMAIS !!! En fait, à la maison, c’est plutôt le paradis de la gourmandise au rythme de chacun.
Comment y suis-je arrivée ? C’est très simple : nous écrivons systématiquement les noms sur tout ce qui est « trop bon » (car évidemment, personne ne penserait à se battre pour une assiette de brocoli ou de fromage). Donc, biscuits, chips, desserts, lait au chocolat ou autres friandises sont invariablement divisés dès leur entrée à la maison. Je déballe l’épicerie et, munie d’un crayon-feutre indélébile, j’écris les noms de mes enfants sur leur portion (et le mien aussi, si j’en veux une). J’achète toujours une quantité qui se gère bien (p. ex., un sac de chips par personne), sinon je sépare les emballages en quantités égales pour chacun (p. ex., 12 petits croissants au chocolat, à raison de trois par personne). Je range ensuite les denrées alimentaires dans un contenant recyclable identifié au nom de chacun.
Mon amie (et mon conjoint d’ailleurs) me trouve un peu excessive. Cependant, cela permet à tous les membres de ma famille de savourer leurs gâteries personnelles sans pression, en ayant l’immense bonheur de les laisser traîner dans le frigo ou le garde-manger jusqu’à ce que l’envie de les dévorer se pointe, et ce, en ne craignant nullement d’avoir été précédé par un vorace.
Bien que ma famille nombreuse ait été l’élément déclencheur d’une telle stratégie, mon amie et mon conjoint (qui n’ont chacun qu’un seul enfant) auraient eux aussi tout intérêt à développer cette façon de faire, car qui a dit que les enfants doivent avoir l’avantage de tout manger sans égard pour leurs parents ou leur fratrie, s’ils en ont une ? Apprendre à considérer les autres est une habileté que l’on peut acquérir en contexte familial, et dans le cas des enfants uniques, c’est avec le parent que cet apprentissage se réalise.
En outre, la technique du « nom sur la nourriture » a l’avantage d’apprendre aux enfants à respecter leur faim, et non à manger trop rapidement, mus par la peur que la nourriture ne disparaisse. À l’opposé, cela permet aussi de vivre les conséquences des élans abusifs de gourmandise, si c’est le cas. Par exemple, si l’une de mes filles voit le fond de son sac de chips en une journée, elle devra attendre 14 jours avant que j’en ramène de l’épicerie. Cela mérite réflexion. L’enfant apprend ainsi à gérer ses envies et l’étalement de ses plaisirs gastronomiques.
Bref, même si mon amie rit de l’idée que j’écrive les noms sur les aliments, dans ma famille, nous avons décidé de respecter cette « loi » scrupuleusement et de profiter de la zénitude alimentaire que cela suscite. Nous adorons ! Et je suis prête à parier que si je deviens un jour grand-mère, mes petits-enfants auront, eux aussi, leurs prénoms sur leur nourriture… Bon appétit !
Anik Routhier
Enseignante en Techniques d’Éducation à l’enfance