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Ressource
Marie-Hélène Proulx
Pour en savoir plus :
À lire :
Gérard Roudaut (2007) Réussir l'orientation de ses enfants, déterminer leurs points forts, développer leur confiance en eux, 2ème éd. Studyrama, Levallois-Perret, 315 p.
Collectif (2013) Guide pratique des études collégiales au Québec 2014, et Guide pratique des études universitaires au Québec 2014, Éditeur : SRAM, Montréal
En ligne :
Tout pour réussir, www.toutpourreussir.com (Guide des métiers spécialisés au secondaire ou au collégial)
L’Espace virtuel pour les parents, créé par l'Ordre des conseillers et conseillères d'orientation du Québec : http://choixavenir.ca/parents/
À visiter :
Musée pour enfants à Laval : www.museepourenfants.com
Salon national de l'Éducation de Montréal : www.salonnationaleducation.com
Cité dans le texte :
Guay, F., Ratelle, C. F., Senécal, C., Larose, S. & Deschênes, A. (2006) « Distinguishing developmental from chronic career indecision: Self-efficacy, autonomy, and social support » Journal of Career Assessment, 14(2), 235-251.
Comment ne pas tomber sous le charme d'Imma lorsqu'elle nous annonce, du haut de ses trois ans, son projet de devenir un dauphin, lorsqu'elle sera grande ? C'est mignon, mais cela exige également beaucoup d'imagination de ses parents, pour découvrir le ton juste pour accueillir une telle nouvelle...
Tous les spécialistes que j'ai rencontrés m'ont toutefois assurée que ses parents n'ont pas à s'inquiéter. Imma aura l'occasion de changer plus d'une fois d'ambition et ce n'est qu'à partir de la grande école secondaire que l'on attendra d'elle un peu plus de réalisme.
Pourtant, la motivation que trouvent les enfants dans les modèles qui les inspirent et auxquels ils aimeraient ressembler, en travaillant très fort, commence bien avant l'adolescence. Et c'est avec tendresse que Joëlle, une des mères que j'ai rencontrées à l'organisme Station famille, écoute sa grande fille de huit ans lui répéter, depuis déjà un bon moment, son rêve de devenir pâtissière. Pourtant, une certaine insécurité s'immisce dans son écoute attentive lorsque sa fille lui explique que ce qu'il y a de bien, dans la pâtisserie, c’est le fait de ne pas être obligée de demeurer à l'école trop longtemps : « Je veux donner une bonne base à mes enfants. C'est certain que je serais fière que mes enfants finissent avocats ou médecins, mais ce que je veux, avant tout, c'est de les voir persister assez longtemps pour qu'ils puissent avoir le choix plus tard », admet-elle. Il est vrai que la petite voit son père travailler fort depuis qu'il a décidé de retourner aux études. Comment les parents peuvent-ils alors s'assurer que, par leurs paroles et leurs gestes, ils demeureront, pour leurs enfants, les guides et les modèles qu'ils rêvent d'être ?
Apprendre et observer : le métier des enfants
« Avant 12 ans, il est beaucoup trop tôt pour s'asseoir avec une liste des professions et demander à son enfant de choisir ; mais il n'est jamais trop tôt pour se connaître et connaître son école, sa communauté et la place que l'on aimerait y occuper », affirme à ce propos Amélie Sincennes, conseillère d'orientation à la Commission scolaire de Laval. Dès l'âge où nous avons tous rêvé de devenir princesse ou superhéros, les dialogues, les observations et les questionnements jouent donc déjà un rôle pour l'adulte que l'on deviendra, mais surtout, dans le lien de confiance que l'enfant établira avec ceux qui l'aideront à se découvrir. Et dans ce monde où le travail demeure, pour bien des enfants, la principale voie dans laquelle les adultes semblent s'impliquer et interagir dans la société, leur fascination des modèles de grandes personnes démontre déjà ce qui les préoccupe et offre une bonne occasion de les interroger sur ce qui les attire dans le monde des grands. L'observation peut commencer très tôt, par le regard amusé de Jessica sur son garçon, qui se promène partout avec son camion de pompier, mais peut aussi prendre la forme d'un discours plus articulé, dès l'entrée au primaire.
Pourtant, certaines mères de Station famille s'inquiètent de voir les goûts de leurs enfants si influencés par les choix de leurs copains de classe. À ce propos, les conseillères en orientation rencontrées se veulent rassurantes : avant l'entrée dans l'adolescence, les parents et les proches de la famille demeurent les premiers modèles de référence de l'enfant, offrant les valeurs qu'ils auront tendance à adopter, ou à contester, le temps de s'affirmer. Les parents sont aussi les mieux placés pour les éveiller aux différentes problématiques sur lesquels ils pourraient devenir désireux d'agir. De plus, précise Laurie Clavel, également conseillère d'orientation à la Commission scolaire de Laval, en accompagnant les enfants dans leurs premiers choix, les parents peuvent aussi les influencer sur les modèles qui leur sont proposés et qui, parfois, ne plaisent pas à leur regard d'adultes : « Lorsque nous disons à nos enfants "Moi, j'aime ce que fait telle personne, parce que...", nous les influençons beaucoup, même dans les modèles qu'ils seront portés à choisir eux-mêmes. »
De manière plus générale aussi, les parents sont les premiers à présenter, aux yeux de leurs enfants, le rôle que le travail peut jouer dans leur vie et dans la nécessité de planifier et d'organiser leur vie en fonction d’objectifs à plus long terme. Mélanie a pu constater, dans sa vie de famille, comment, devant les transformations amenées par le télétravail, rendant les frontières de plus en plus poreuses entre la vie de famille et la vie professionnelle, les enfants peuvent davantage observer leurs parents en pleine action, même si des réajustements demeurent à faire : « Ma sœur vient souvent chez moi, avec son portable, parce qu'elle est traductrice et moi aussi ; ma fille me voit souvent devant l'ordinateur, alors elle nous imite. Ça l'amuse. Elle croit que nous jouons toute la journée parce que tout ce qu'elle connaît de l'ordinateur, ce sont les jeux [...] Elle me dit que, quand elle sera grande, elle utilisera des outils, comme moi. »
Mais tous les enfants n'ont toutefois pas la chance de la fille de Mélanie. Dans ce monde où les horaires fluctuent, les rituels de repas et autres moments partagés tendent à se perdre et, constatent les conseillères en orientation, la compréhension du travail des parents demeure parfois assez floue jusqu'en quatrième ou cinquième secondaire : « Ils savent que leur parent va travailler, mais pas vraiment ce qui se passe là-bas et pourquoi. [...] Il pourrait être intéressant que l'enfant voit son parent dans son milieu de travail, ne serait-ce qu'une demi-journée », suggère Mireille Moisan, conseillère d'orientation au Séminaire Sainte-Marie de Shawinigan et chargée de projet à l'Ordre des conseillers et conseillères d'orientation du Québec.
Mais qu'arrive-t-il lorsqu'un parent, tout désireux qu'il soit de partager avec son enfant le rêve d'un avenir heureux et motivant, ne se sent pas lui-même pleinement accompli dans sa tâche professionnelle ? Lorsqu’il n’est pas le modèle qu’il rêvait de devenir ? Amélie Sincennes tente parfois de faire réfléchir les parents sur ce que leur attitude peut alors refléter : « On entend parfois, de la part d'un adulte "Bon, une autre journée de travail de finie, il en reste encore 2". Pour un enfant, ça laisse l'impression que le travail, où l'on passe ses journées entières, est une souffrance. Cela ne donne pas une vision très joyeuse de l'avenir. »
Les avis demeurent toutefois partagés chez les mères de Station famille quant à la meilleure manière de gérer leurs propres inquiétudes : certaines se refusent à aborder leurs propres peurs et à courir le risque de les transmettre, alors que d'autres, dont Émilie, pensent le contraire : « D'en parler n'amène pas nécessairement de la pression. Moi, mon père ne disait rien, c'était pire. On peut le faire avec nuance. Moi, quand je suis anxieuse, j'essaie de ne pas dire : "Ne fais pas cela" mais plutôt "Ça m'inquiète" et d'amener des solutions. » L’avis des conseillères en orientation, de même que la psychologue Johanne Sylvain, qui rencontre souvent des familles aux prises avec diverses appréhensions en thérapie, abondent plutôt dans le sens de la réflexion de Mélanie, pour autant, bien sûr, que les explications soient adaptées à l'âge : « Un enfant de 8 ans est capable de comprendre "Ça m'inquiète, j'aimerais que ce soit plus facile pour toi que cela l'a été pour moi".. L'important, c'est de continuer à interagir. Plus la communication est fluide, plus la petite graine de nos valeurs que l'on a essayé de semer a de chances de fleurir, avec le temps. »
L'expert de la connaissance... de son enfant
Mireille Moisan remarque que cette nouvelle génération d'enfants semble bien sensibilisée à toutes les conditions nécessaires pour construire un avenir meilleur, mais sans toutefois y discerner sa propre place : « Les jeunes de la quatrième et même de la cinquième secondaire n'ont pas tous appris à parler des questions qui les concernent. Des enfants qui s'expriment bien, j'en vois tous les jours : ils s'intéressent à la planète, s'engagent, ont des opinions, mais ils ne savent pas toujours en quoi ils sont bons. »
Johanne Sylvain a pu remarquer maintes fois que les enfants se livrent avec une spontanéité parfois étonnante sur ce qui les animent, à condition toutefois de tenir compte de leur capacité d'attention, qui ne se limite par exemple, qu'à une dizaine de minutes vers 5-6 ans, bien qu'il faille souvent prévoir un moment plus long pour laisser le temps à l'enfant de s'ouvrir. Lors des périodes un peu plus difficiles dans la vie de l'enfant, où le désir de grandir se fait moins présent, mais devient d'autant plus nécessaire pour maintenir la motivation de l'enfant, elle n'hésite pas non plus à multiplier les moyens pour ramener ces rêves à la surface : « Ils ont toujours quelque chose, une base, une idée, à partir de laquelle nous pouvons travailler, les amener à faire des projections. Tu peux demander à un enfant de dessiner le métier de ses rêves. » Mais Mélanie a pu observer aussi que les réponses viennent parfois d'elles-mêmes, pour qui sait prendre le temps de s'ouvrir à ce qui se passe : « Tu peux aussi les entendre parler de ce qui les passionne lorsqu'ils te demandent comment les choses fonctionnent. Mes enfants sont très verbomoteurs ; c'est facile de savoir ce qui les préoccupe. On voit aussi leurs intérêts à travers leurs jeux de rôle. Chez nous, les enfants ont des ensembles de jouets pour jouer aux pompiers, à la caissière, aux vendeurs, aux policiers. On peut les observer. »
Selon plusieurs mères de Station famille, avant l'adolescence, où le conformisme devient plus important, plusieurs enfants ne demandent pas mieux que d'avoir un public prêt à les féliciter, ce qui donne aux parents une bonne occasion de renforcer l'estime de soi des enfants. Cependant, bien que l'âge où l'on craignait de trop gonfler nos enfants d'orgueil est maintenant révolu, Laurie Clavel pense qu'une approche plus spécifique offrira davantage de bienfaits à long terme qu'un bombardement de vagues compliments qui peuvent parfois perdre leur sens, lorsque l'enfant prend conscience qu'il n'excelle plus dans un domaine : « On peut être très bon dans quelque chose, même si on n’est pas le meilleur tout le temps. [...] L'idée est de souligner des points précis qui reflètent ses compétences : il peut avoir choisi de belles couleurs, ne pas avoir dépassé en crayonnant. C'est toujours un dessin, mais qui fait ressortir des aptitudes très différentes. »
Les mamans de Station famille aimeraient bien sûr que l'école soit aussi en mesure de reprendre le flambeau lorsque vient le temps d'éveiller la curiosité des enfants, mais aussi de les accompagner dans leurs caractéristiques propres. C'est d'ailleurs ce que prône l'approche orientante, qui tend à s'implanter au secondaire et qui vise à aider les jeunes à faire des choix qui les concernent et qui sont adaptés à leur manière d'être, dès le début du primaire : « Le parent peut aider son enfant à structurer son identité avant l'entrée au primaire. D'ailleurs, l'approche orientante est maintenant appliquée à l'école dès le niveau préscolaire afin d'aider les enfants à comprendre qu'ils sont différents de leurs camarades et que chacun a le droit d'avoir des forces et des goûts différents. Vers la fin du primaire, cela deviendra plus précis et l'on sera davantage en mesure de distinguer les intérêts, les aptitudes et les valeurs », a pu observer Laurie Clavel.
Cette approche n'est pas encore implantée également partout, ce qui n'empêche pas les parents de rechercher des programmes enrichis, lorsque leur enfant démontre des aptitudes. Mais la situation peut devenir plus problématique lorsque l'école devient, pour l'enfant, davantage synonyme de difficulté que de réussite. Johanne Sylvain suggère alors de trouver d'autres moyens, comme les activités parascolaires, pour préserver le lien et la motivation. Les parents peuvent aussi trouver une multitude de ressources dans leur quartier, par le biais des organismes communautaires, de la bibliothèque ou derrière leur écran. L'Ordre des conseillers et conseillères d'orientation du Québec a même conçu un site (http://choixavenir.ca/parents) pour aider les parents à accompagner les enfants dès la fin du primaire.
Ces situations difficiles peuvent parfois amener les parents à se questionner sur la qualité de l'accompagnement qu'ils offrent ou même, lorsque l'enfant finit par se tourner vers des domaines inusités pour les parents, sur le rôle qu'ils pourront jouer auprès de leurs enfants dans ce processus. À ce propos, Laurie Clavel tient à rappeler aux parents que, même les jours où les parents se sentent maladroits ou plutôt novices dans les domaines qui passionnent leurs enfants et sentent le besoin de faire appel à une aide extérieure, ils peuvent quand même jouer un rôle fondamental : « C'est même une bonne occasion de montrer à ses enfants qu'il n'est pas important d'être bon dans tout pour réussir sa vie, et que l'on peut s'ouvrir aux autres même s'ils n'ont pas fait les mêmes choix ou s'ils sont différents de soi. »
Expérimenter le désir de grandir
Les spécialistes semblent s'entendre sur la richesse qu'apporte la diversité des expériences familiales. Et si les salons carrière ont été créés pour guider les adolescents dans leurs choix, d'autres infrastructures savent miser sur le désir de grandir des enfants pour faire partager des moments précieux aux familles, comme ceux vécus par Marianne, au Musée pour enfants, à Laval : « Les enfants peuvent y découvrir et y jouer les rôles associés à plusieurs métiers. Mes filles ont adoré cela, elles ont "pitonné" sur une caisse enregistreuse une partie de la journée. »
Mais les spécialistes de l'orientation se défendent bien d'inviter les parents à multiplier les activités exceptionnelles : « Stimuler son enfant à expérimenter, c'est le placer devant une multitude de situations nouvelles, sans que celles-ci soient nécessairement coûteuses ou extraordinaires, à nos yeux d'adultes. L'enfant peut aider dans le jardinage ou pour cuisiner des cupcakes. Pour un enfant, cela peut être très intéressant, mais exige tout de même des compétences et permet de dire à son enfant : "Tu es bonne pour mesurer les choses." Toutes les occasions sont bonnes pour ce genre de reflets », précise Amélie Sincennes. Ces expériences quotidiennes, plus imbriquées dans le quotidien, qui impliquent une part de responsabilité et, parfois, obligent à tolérer un délai avant d'obtenir l'objet de ses désirs, seraient même celles qui en apprennent davantage aux enfants sur eux-mêmes et les poussent davantage de l'avant. Ce qui permet d’apprendre à savourer les étapes d’un processus, prépare alors d’autant plus les jeunes à la patience qu’exigent de longs parcours comme celui que représente le cheminement scolaire.
Devant la multiplicité des activités, Mireille Moisan précise que le soin qu'auront mis les adultes à faire un événement qui suscite la réflexion pourra également faire la différence entre une expérience qui transforme et une autre, moins révélatrice : « Inviter quelqu’un pour parler des métiers du tourisme ou aller dans un salon, cela peut être très enrichissant ou assez peu, si on laisse, par exemple, un groupe de jeunes se promener durant une heure sans objectif précis : seuls quelques passionnés y trouveront ce qu'ils cherchent. Mais si l'activité est préparée, que le discours se poursuit avant, pendant et après, même si ce n'est pas la spécialité de tout le monde, elle peut servir à faire des liens. » Des occasions de parler des différents métiers et des cheminements qui y mènent, Marianne en trouve même à travers les événements qui animent sa maisonnée : « Quand on a fait les plans de la maison, ma fille dessinait beaucoup, et je lui ai expliqué que, pour dessiner la maison, c'est un architecte qui fait cela. »
Si ces expériences et ces découvertes en famille mènent donc parfois à quelques beaux coups de cœur, elles mènent aussi, parfois, admettent les spécialistes, au constat que l'intérêt ou les aptitudes ne sont pas là, ce qui peut causer quelques frustrations, mais ne serait pas forcément une mauvaise nouvelle, dans la mesure où cela ne mène pas à une fermeture du dialogue : « C’est le moment pour le parent de dire : "Tu n'as pas aimé, je l'accepte, mais qu'est-ce que tu n'as pas aimé dans ta journée ? Est-ce qu’il y a des choses qui t’ont plu quand même ?" Certains jeunes ont besoin qu'on leur laisse davantage de temps pour s'apprivoiser », conclut Johanne Sylvain.
Ainsi, une expérience est parfois repoussée par l'enfant lorsqu'il s'y sent, de prime abord, malhabile. Se dépasser et vivre des réussites peut alors devenir une bonne occasion pour lui d'augmenter son sentiment d'efficacité personnelle, qui permettra d'entrevoir les défis à venir d'un œil moins menaçant. Et, si l'habileté ne vient pas, elle offre au moins à l'enfant l'occasion de développer ses mécanismes d'adaptation, si l'enfant se sent quand même entendu dans ses limites et ses désirs. Mais comment différencier une expérience où l'enfant se sent écouté et se valorise d’une autre, qui n'engendrera que de la réticence ? « L'expérience devient plus négative si les échanges deviennent méprisants. Si l'on conclut, pour son enfant : "Tu n'es pas capable de faire cela" ou, si l'enfant n'est pas prêt et on tente de le forcer. En agissant comme cela, on risque de l'amener à ne plus vouloir essayer », prévient Johanne Sylvain.
Pour tous les spécialistes, cela ne signifie pas toutefois, qu'il faille pour autant renoncer à partir à la rencontre de l'inconnu, même avec des enfants plus friands de jeux vidéo que de découvertes ; se mettre à l’écoute de son enfant peut déjà, d’après Amélie Sincennes, s’avérer un bon point de départ : « On peut quand même questionner l'enfant, voir comment il joue et pourquoi. Quand nous étions petits, nous pouvions jouer à un même jeu, chacun pour des raisons différentes : Est-ce que l'enfant aime planifier ? Organiser les équipes en ligne ? Peut-être démontre-t-il déjà un tempérament de gestionnaire ? » Johanne Sylvain croit toutefois que si l'idée d'expérimenter quelque chose de nouveau amène en soi des tensions, cela signifie peut-être que, justement, il serait temps de viser une solution moins confortable, de prime abord : « Comme parent, on peut se questionner aussi sur ce que l'on entend par expérience positive. Est-ce une activité où personne ne pleure ? Qui a fait plaisir ? Pas nécessairement. C'est une activité où l'on a pu apprendre quelque chose sur soi, sur le monde et sur la relation que l'on aimerait entretenir avec lui. [...] On ne peut pas s'obliger à rester à la maison pour éviter une crise. Les crises, parfois, sont nécessaires. »
Apprendre à faire des choix
La disponibilité des parents est particulièrement sollicitée au moment des grandes transitions, comme celle de l'entrée au secondaire : « Même pour les adultes, ces choix-là sont difficiles alors, imaginez pour un enfant. Mais cela ne devrait pas être une raison pour critiquer ses choix. Il existe d'autres façons d'encadrer : aller visiter les écoles, poser des questions, discuter avec lui des limites, dont le budget que l’on a », suggère Mireille Moisan, qui voit cette crainte se poursuivre ou même s'accroître, quelques années plus tard, au moment de l'entrée au cégep.
Consulter un conseiller d'orientation permet parfois d'identifier de nouvelles façons de faire le point et de trouver des solutions et des métiers encore inconnus faisant appel à plusieurs de leurs intérêts et aptitudes. La méconnaissance de la multitude des nouveaux emplois existants est d'ailleurs un problème. La nouvelle approche dite « orientante » dans les écoles tente d’y remédier dès la fin du primaire : « Nous avons constaté que les enfants avaient, au primaire, des rêves de carrière qui correspondaient à leur connaissance du moment et que ceux-ci demeuraient sans grande transformation jusqu'à la fin du secondaire. C'était toujours les mêmes dix professions les plus connues ou la profession des parents », explique Laurie Clavel. Cette réalité ne touche donc pas seulement quelques jeunes en difficulté, puisque d'après les statistiques présentées en 2012, lors d'une conférence présentée par la Commission scolaire de Laval, 80 % des jeunes de la cinquième secondaire n'ont pas de projets de carrière précis : « Certains jeunes sont bons dans tout, mais ne savent pas quoi choisir. C'est très angoissant choisir, parce que ça oblige à renoncer, à faire des deuils, alors que l'on n’est pas certain de la bonne voie à prendre », précise aussi Amélie Sincennes. Et pour cause, selon une recherche produite à l'Université Laval (Guay et coll., 2006), 48 % des jeunes cégépiens se sentent indécis concernant leur avenir et 25 % demeureront indécis après avoir terminé leurs études collégiales.
L'accompagnement des parents n'est donc pas seulement l'enjeu d'une année, et Amélie Sincennes explique que pour beaucoup de jeunes, il s’agit du premier grand choix que la vie leur donne l'occasion de faire : « Pourtant, se connaître, c'est se donner l'occasion de faire des choix, et cela pourrait commencer très tôt, de manière plus encadrée. On peut demander aux enfants de choisir leurs vêtements en leur proposant deux choix plutôt que toute la garde-robe, et si ce n'est pas exactement ce que l'on aurait choisi soi-même, se dire que ce n'est pas si grave.» En adoptant une telle attitude avec son fils dès l'âge de 3 ans, Maude a vite compris que cette stratégie permettrait d'éviter beaucoup de conflits. Aux yeux de Mireille Moisan, le grand défi n'est toutefois pas seulement de laisser l'enfant choisir, mais aussi de lui laisser prendre conscience de son droit d'expérimenter, d'apprendre sur soi et même de faire des erreurs. Mélanie fait partie des mères qui pensent que, justement, les enfants peuvent supporter les conséquences mineures de quelques erreurs, pour lesquelles ils pourront se raviser : « Parfois, je tente de le guider et il ne m'écoute pas. Je sais ce qui est bon pour lui, mais, si ce n'est pas grave, je le laisse essayer quand même de faire quelque chose tout seul ou de mettre un vêtement trop chaud. Ensuite, c'est lui qui vient demander de l'aide ou un changement. »
De même, parmi les familles que rencontre Johanne Sylvain en thérapie, elle observe parfois des personnes moins enclines à accepter le risque inhérent à toute décision. Pourtant, elles font rarement de graves erreurs lorsqu'elles choisissent en fonction de leurs valeurs profondes. Amélie Sincennes ajoute que l'un des renoncements nécessaires est celui de trouver un jour l'unique et parfaite solution, un renoncement qui ouvre la porte à beaucoup de liberté : « Nous ne sommes pas uniquement faits pour un seul métier. Je peux être une bonne conseillère d'orientation, mais cela ne signifie pas que je n'aurais pas pu être bonne et prendre du plaisir dans autre chose. Les réorientations à tout âge sont de plus en plus populaires. »
L'implication dans le désir de l'autre
Un plus grand besoin de plaire ou de se situer dans une norme pourraient aussi rendre des enfants plus vulnérables que d'autres aux attentes de l'entourage, dont celles de leurs parents. En revanche, il n'est pas toujours évident pour ces derniers de se mettre dans la peau de leur enfant et d'imaginer pour lui un avenir heureux, surtout lorsque les projets des enfants s'appuient sur des intérêts vraiment différents des leurs. Lorsque les parents viennent frapper à la porte d'Amélie Sincennes pour demander de l'aide, elle se fait alors un devoir de leur rappeler que la décision à prendre doit demeurer celle de l'enfant. Les déceptions dont elle a été témoin chez des adultes qui ont dû se réorienter après avoir fait des choix pour plaire à leurs parents ou reprendre l'entreprise familiale, la confortent dans ce sens : « À l'adolescence, le jeune peut être attiré par d'autres valeurs et cela peut faire vivre des frictions, mais il n'en reste pas moins qu'entre vouloir transmettre ses valeurs et choisir à la place de l'autre, il y a une grande différence. [...] Parfois, on peut proposer des solutions temporaires pour rendre la situation plus confortable, mais ce n'est pas nous, les conseillers d'orientation, qui décidons. Nous offrons seulement des outils pour prendre la meilleure décision possible. » Même si Johanne Sylvain a vu des enfants se rendre malades à essayer de combler les attentes parentales, elle ne croit pas qu'il faille lancer la pierre à toutes ces attentes, qui aident malgré tout les parents à demeurer impliqués dans la vie de leur enfant : « Mais ces attentes deviennent beaucoup plus lourdes à porter le jour où on demande à la génération suivante de porter nos propres rêves non réalisés ».
Les conseillers en orientation, tout comme les parents, se butent néanmoins parfois à des situations où les rêvent proposés par les adolescents leur semblent difficilement réalisables ou, pour le moins, présenter beaucoup d'embûches. Et Amélie Sincennes doit parfois susciter une telle réflexion chez des adolescents, un travail qui se poursuit aussi à la maison. Sans dénigrer les modèles qui les inspirent, que ce soit les vedettes ou autres, elle croit qu'il est possible d'aider l'enfant sous un angle un peu plus réaliste ou même un peu moins superficiel : « L'idée n'est pas de dire "Pourquoi tu l'aimes ? C'est une idiote !". Un jugement comme celui-là peut enlever à l'enfant l'envie de parler de ce qu'il découvre, même plus tard. Mais le parent peut amener des questionnements. Si un enfant rêve de faire un métier où les conditions sont précaires, il peut lui demander s'il serait prêt à vivre à la pige, avec l'insécurité matérielle que cela représente. Si un enfant veut faire un emploi pour lequel le parent doute que son enfant ait les notes ou les compétences, comme vétérinaire, il peut lui demander ce qu'il aime dans ce métier : cela peut ouvrir la porte, déjà, à d’autres professions auxquelles il n’avait pas pensé. »
Afin d'aider l'enfant ou le jeune à prendre conscience de ses limites, Johanne Sylvain suggère qu'il est parfois plus positif de pousser son enfant vers de nouvelles occasions d'expérimentation, à court terme, que de tenter de le freiner : « Parfois, il faut se servir de ce qui est en place autour de soi pour voir si un choix est porteur d'avenir. On peut essayer de rencontrer un professionnel qui vit cette réalité au quotidien et qui peut donner son avis. Je fais souvent appel à la structure environnante aussi lorsque des aspects du tempérament sont en jeu. En encourageant l'enfant à faire des tentatives qui le mettent dans une situation comparable à celle qu'il vise pour plus tard, on peut préserver la relation en restant du côté de l'enfant et en l'encourageant, même si les résultats ne sont pas ceux qu'il espérait. »
Au moment de trouver un plan "B", ou même un plan "C", certains parents sont aussi souvent les mieux placés pour entrevoir les liens entre des propositions, en apparence hétéroclites, qu'avancent les enfants, comme ce fut le cas pour le fils de Gaétane : « Au début, ce qu'il voulait, c'était être avec les reptiles, s'en occuper. Son père lui a fait remarquer qu'il pourrait difficilement gagner sa vie avec cela ; alors il a décidé d'aller s'inscrire en soins infirmiers. Mais je crois que, sous les apparences, il y a un lien : il voulait prendre soin. Il est comme cela. »
Les parents peuvent donc trouver de bonnes raisons de se donner toutes les chances de croire aux rêves de leurs enfants, ne serait-ce que le temps des découvertes, mais aussi, parfois, en leur propre compétence pour les soutenir. Par-delà les appréhensions, les nouvelles approches, les nouvelles technologies et leurs doutes quant à leur propre cheminement, plusieurs parents finissent par prendre conscience de la force de l'inspiration des modèles qui les ont eux-mêmes guidés, lorsque vient le moment d'accompagner leur enfant à leur tour comme ce fut le cas pour Maude : « Tous mes amis prévoyaient aller au collège ou à l'université. Ça allait presque de soi pour eux. Lorsque j'ai annoncé que, moi, je préférais faire un diplôme d'études professionnelles en coiffure, j'ai senti une critique de la part de mes professeurs et de mon directeur. Ils me disaient : "C'est ton choix, mais...". Mes parents, de leur côté, m'ont encouragée à faire ce que j'aime vraiment. S'ils n'avaient pas été là, poursuivre mes rêves aurait été beaucoup plus difficile pour moi. Je veux encourager mes enfants, comme mes parents l'ont fait. »
Merci à :
Mireille Moisan, conseillère d'orientation au Séminaire Sainte-Marie de Shawinigan et chargée de projet à l'Ordre des conseillers et conseillères d'orientation du Québec (OCCOQ) www.orientation.qc.ca
Laurie Clavel et Amélie Sincennes, conseillères d'orientation à la Commission scolaire de Laval
Les mères Marianne, Mélanie, Jessica, Maude, Émilie et Joëlle, ainsi que l'animatrice Gaétane Lafontaine, à l'organisme Station famille (514-762-2525)
Johanne Sylvain, psychologue clinicienne (514-718-3053)