La gestion par compétence… ou une autre façon d’éduquer

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Date de publication

mercredi 15 octobre, 2014

Imaginez que vous êtes enseignant en chimie, au niveau secondaire. Excellent pédagogue, vous transmettez votre savoir en toute compétence, puisque votre formation et votre expérience sont reflétées dans l’exercice de vos tâches...

Un jour, le directeur de l’école vous demande d’enseigner plutôt le français. Bien que ce soit votre langue maternelle, vous n’avez aucune connaissance en didactique de cette matière. Qui plus est, écrire vous donne la nausée et vous êtes spécialiste des fautes d’orthographe. Nul besoin de Jojo Savard pour prédire que vos élèves et vous-même risquez fort de trouver le temps long, et les résultats de votre enseignement, d’être plutôt désastreux.

Être parent, c’est un peu la même chose. En quelque sorte, vous êtes un professeur pour votre enfant, à qui vous enseignez la vie avec un grand V, mais aussi tous les petits aspects qui font de celle-ci une aventure à la fois complexe et agréable. Cependant, votre vécu ne fait pas de vous un parent compétent à tout inculquer avec aisance et savoir, et il y aura forcément des domaines où vous excellerez plus (ou moins) que d’autres. Cela sera tout aussi vrai chez l’autre parent avec qui vous faites équipe et même chez votre nouveau conjoint, si vous faites partie d’une famille recomposée.


 

Malgré cet état de fait, les couples ont généralement tendance à gérer uniformément le comportement de leurs enfants : il faut que chaque parent en fasse autant et intervienne sur tous les « dossiers » et sur l’ensemble des règles, soi-disant pour une question d’équité.

 


 

Or, est-il vraiment équitable de s’attendre à ce qu’une personne gère un comportement avec lequel elle n’est pas tout à fait à l’aise ou qui ne correspond pas vraiment à son seuil de tolérance ou à des valeurs de la plus haute importance selon son échelle personnelle ? La personnalité, les talents, les intérêts et les valeurs de chaque parent influencent sa manière d’éduquer les enfants, la conviction qu’il y met et, logiquement, les résultats obtenus.

 


 

Penser que deux parents peuvent sans cesse demeurer sur la même longueur d’onde et intervenir de façon similaire relève de l’utopie et crée des conflits. Alors, pourquoi ne pas régler le tout en adoptant la gestion par compétence, qui a le mérite de mettre à profit les forces de chaque parent ? Jetons un coup d’œil à cette autre façon de percevoir l’éducation des enfants.

 


 

Comme au ministère!

 

Lorsque vous devez gérer une question relative à votre déclaration de revenus, vous appelez sûrement au ministère du Revenu, et non au ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport (quoiqu’à mon humble avis, faire ses impôts peut relever des sports extrêmes). En outre, au sein d’un même ministère, chaque employé se voit confier un certain nombre de dossiers dont il est responsable. Si le dossier de Pierre concerne, par exemple, les subventions accordées à divers projets de recherche, et que le dossier de Jacques concerne la révision des programmes éducatifs, il ne viendrait pas à l’idée de Jacques (à moins vraiment qu’il aime perdre son temps ou que ce soit une vraie fouine) de s’immiscer dans le dossier de Pierre. Après tout, cela ne relève pas de son champ de compétence et il risquerait même de mettre des bâtons dans les roues de son collègue.

 


 

Alors, pourquoi ne pas extrapoler cette façon de faire et traiter seulement quelques dossiers ou domaines (et non l’ensemble de ceux-ci) lors de la gestion familiale ? De cette manière, chaque parent peut perfectionner ses méthodes dans son ou ses champs de prédilection, et ses efforts ne risquent pas d’être contrecarrés par les actions (ou l’absence d’action) de l’autre parent. À chacun ses spécialités et vive la bureaucratie (oui, oui, je le dis vraiment !).

 


 

Concrètement…

 

Dans la réalité, comment tout cela peut-il se traduire ? Je vais vous relater un pan de mon expérience personnelle à cet effet. Récemment, j’ai entamé la vie à deux (et à six, une semaine sur deux) avec mon nouveau conjoint. Bien que nous partagions une vision majoritairement semblable de l’éducation et des valeurs à promouvoir, sur certains points, la distance entre nos seuils de tolérance s’avère plus importante. Par exemple, mon amoureux apprécie la quiétude. De mon côté, j’aime le bruit et la musique. De plus, lorsque les filles se chamaillent, je peux plus aisément faire fi des tons de voix qui montent, car je considère que les conflits font partie de la vie et que les enfants doivent apprendre à les régler. D’un autre côté, dans le domaine du développement de l’autonomie et de la culture de l’effort, je prône une grande responsabilisation des jeunes, alors que mon chum tient davantage du père poule. Malgré nos divergences, il faut s’entendre et faire front commun devant les enfants, sinon ils risqueraient de nous manger tout rond… et de faire toute une indigestion ;-)

 


 

Cet objectif en tête, après discussion, nous avons convenu que la maison serait empreinte d’une grande quiétude, mais qu’elle serait aussi un lieu où l’autonomie est favorisée. En effet, pour que l’éducation des enfants demeure efficace, il importe que les messages choisis et véhiculés par les autorités parentales aillent dans la même direction et que les enfants ressentent que le parent qui se prononce sur une règle y tient vraiment. Les enfants disposent d’un radar ultra-performant pour détecter les failles dans l’assurance parentale, alors vaut mieux être vraiment convaincu de ce qu’on leur demande.

 


 

Or, dans la vraie vie (comme le diraient mes enfants), deux êtres humains ne peuvent « ressentir » exactement les mêmes valeurs, à un niveau identique, même s’ils ont décidé en toute liberté de les appliquer au sein de la famille. Il y en aura toujours un plus strict que l’autre dans chacune des sphères d’éducation. Si les deux parents s’évertuent à gérer, par exemple, le degré de bruit émis par un enfant, il y en aura toujours un qui exigera plus de calme que l’autre.

 


 

Ainsi, pour chacun des dossiers familiaux, comme le calme, les devoirs, les tâches et plus encore, mon conjoint et moi avons décidé que c’était, en terme peu élogieux, celui qui « pogne les nerfs » le plus rapidement (ou, si vous préférez, en termes politiquement corrects : celui pour qui le dossier est le plus important et significatif) qui allait effectuer toutes les interventions relatives à ce domaine ou à cette règle.

 


 

Ainsi, je n’interviens jamais pour gérer le bruit, les cris ou la musique dans la maison et j’en suis d’ailleurs ravie, car je ne m’y révèle guère efficace. Selon son besoin de calme, c’est mon conjoint qui contrôle le tout lorsque nous sommes tous deux en présence des enfants. Pour ce qui est des tâches et du suivi scolaire, je suis seule responsable, car il est primordial pour moi que les enfants soient débrouillards et participatifs. Mon chum y trouve donc son compte, puisqu’il n’a guère besoin d’être le « méchant » qui exige, alors que moi, je m’y adonne naturellement. Ainsi, quand je demande aux enfants de collaborer, il est facile pour moi d’aller au bout de mon intervention, et même chose pour mon conjoint, dans ses champs de compétence.

 


 

Une méthode idéale pour les familles recomposées

 

La gestion de la discipline par compétence contourne en partie le problème des familles recomposées aux prises avec des : « T’es pas ma mère ! » Les règles sont les mêmes pour tous les enfants, et elles ne relèvent pas nécessairement du parent biologique, mais bien du responsable du « dossier » en question. De cette manière, on évite que les enfants consultent uniquement leur propre parent (ou celui des deux qui est le plus « mou »), puisque quand la règle ne relève pas du parent biologique, ce dernier n’intervient jamais dans le dossier.

 


 

Un mal pour un bien…

 

Évidemment, cette technique nécessite un certain lâcher-prise, de même qu’un esprit de délégation et de confiance envers l’autre autorité parentale, que le contexte soit celui d’une famille nucléaire ou reconstituée. Pour certaines personnes, cela exigera beaucoup. En contrepartie, il sera fini le temps où un conjoint critiquait l’autre parce qu’il n’appliquait pas les règles de la manière dont il l’aurait souhaité. À chacun ses règles et ses dossiers : on ne se mêle pas des affaires de l’autre et bonjour l’harmonie !

 


 

Bien sûr, le partage des compétences ne doit pas s’effectuer à la légère : une véritable réflexion quant aux règles importantes à la maison est de mise. Cela dit, ce type d’exercice que, bizarrement, bien des familles ne prennent pas le temps de réaliser avec précision (occasionnant des manques de cohérence fréquents entre les parents, mais aussi au sein d’eux-mêmes, selon les moments) vaut son pesant d’or, quelle que soit la méthode préconisée pour gérer la discipline.

 


 

Il va de soi que rien n’est immuable. Les enfants grandissent et changent, les parents évoluent… Des ajustements peuvent (et devraient) avoir lieu, mais les discussions entre adultes sur la façon dont chaque règle doit être mise en pratique par le ou la responsable s’effectuent en l’absence des enfants. Le message parental est donc unanime, illustré par l’un ou l’autre des adultes selon ses habiletés et ses intérêts. Cela dit, de temps à autre, un bilan de la situation s’avère opportun, afin de garder le cap.

 


 

Plus qu’une mise à l’essai…

 

Si vous et votre conjoint souhaitez transmettre des règles de vie justes et identiques aux enfants, en terminer avec les interventions qui ne servent qu’à faire plaisir à l’autre parent et ne plus éprouver l’impression que votre alter ego manque de poigne, la gestion par compétence risque de transformer votre quotidien familial pour le mieux. Comme rien ne vaut une tentative pour se convaincre de changer sa méthode, je vous invite à l’essayer et, si le tout est concluant, à l’adopter !

 


 

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Anik Lessard Routhier

 

Auteure de la trilogie Hommes à parier

 

www.hommesaparier.com